09.12.2019

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CAPTAGE-STOCKAGE-VALORISATION DU CO2, UN LEVIER POUR DÉCARBONER L’INDUSTRIE 
La synthèse

(Table ronde organisée le 15 novembre 2019)

Didier Houssin, Président d’IFPEN : ouverture
François Kalaydjian, Directeur Economie et Veille (IFPEN) : animation de la table ronde
 

Le rôle du CCUS, ses domaines d’application et les leviers pour accélérer ses filières

Mechthild Wörsdörfer, Directeur, Direction du développement durable, des technologies et des perspectives énergétiques (AIE)

La demande d’énergie s’est accrue en 2018 : les besoins en ressources (gaz, charbon, pétrole) ont augmenté de 2,3 % et les émissions de CO2 – qui ont augmenté de 1,7 % – ont atteint leur plus haut niveau historique. La raison ? Un mix énergétique global qui contient encore 65 à 70 % d’énergies fossiles et des conditions météo plus marquées (périodes de froid ou de chaleur plus intenses selon les régions).

Dans ce contexte, le CCUS fait partie des travaux prioritaires de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Son rôle est particulièrement souligné dans le scénario ambitieux de développement durable du World Energy Outlook 2019. Un scénario qui démontre que, pour passer de la situation actuelle à un avenir énergétique durable, il faut faire de l’efficacité énergétique à hauteur de 40 %, du renouvelable à hauteur de 34 % et intégrer les technologies CCUS à hauteur de 8 ou 9 % .

Le CCUS est donc essentiel à la réussite de la transition énergétique. Sans cela, il semble impossible de répondre aux ambitions de l’Accord de Paris. Cette perspective insuffle une dynamique au développement des technologies du CCUS et les grands projets actuellement à l’étude dessinent un avenir encourageant. Mais dans quels contextes économiques peut-on les appliquer ?

En Europe, le débat sur les perspectives d’application du CCUS aux industries très consommatrices d’énergie se heurte :

  • à des besoins en très hautes températures qui réclament l’utilisation de combustibles fossiles,
  • à la durée de vie des installations (jusqu’à 50 ans), 
  • à la nature même de certains procédés industriels pour lesquels les combustibles ne peuvent être substitués (la production de ciment par exemple, où près de 2/3 des émissions du secteur résulte d’un processus chimique précis lié à la fabrication).
      

La recherche et l’innovation doit se poursuivre dans ces industries, où le CCUS semble être une des rares technologies capables de les mettre sur la voie du zéro émission.

Pour l’AIE, la capacité de stockage du CO2 est un autre facteur déterminant dans la mise en œuvre du CCUS. De ce point dépendent la rapidité de mise en œuvre et la portée du CCUS en Europe. L’aménagement d’installations de stockage, qui doit devenir une priorité, voit émerger des perspectives encourageantes comme le projet norvégien Northern Lights, Porthos à Rotterdam, 3D en France.

Aujourd’hui, peu d’aides financières soutiennent le déploiement de la filière CCUS. La valeur du CO2 est actuellement de 25 €t sur le marché européen. Pour mettre en œuvre le CCUS en Europe et arriver à la neutralité carbone, il faudra augmenter le prix du carbone, disposer de financements supplémentaires, renforcer l’action des gouvernements et leur coopération avec les industriels, et enfin, permettre aux pôles de CCUS de se développer avec des infrastructures de transport et stockages partagées.
  

La valorisation du CO2 : quelles perspectives ?

Fabrice Del Corso, Expert international Production des gaz & Énergie (Air Liquide) 

Pour Air Liquide, le COest un produit commercialisé depuis plus de 50 ans, qui représente un marché d’environ 4 millions de tonnes par an de CO2. L’ordre de grandeur du marché mondial est de 30 millions de tonnes, et même 80 millions de tonnes si on inclut le CO2 utilisé pour la récupération du pétrole. Le captage et l’utilisation de la molécule sont donc aujourd’hui une réalité industrielle. Lorsque le CCS est apparu dans les années 2000, nous sommes passés de l’alimentation d’un marché par une molécule  ̶  dont les propriétés physico-chimiques rendaient un service  ̶  captée sur des émissions industrielles très concentrées en CO2 à la question climatique avec un changement d’échelle. De 100 000 tonnes de CO2 par an captées sur un point d’émission, il fallait aller vers le captage de plusieurs millions de tonnes à partir de sources beaucoup moins concentrées en CO2. Ces évolutions ont donné lieu à d’importants efforts de recherche sans qu’un modèle économique émerge ensuite, d’où un ralentissement de l’engouement pour le CCS dès la fin des années 2000.

Face à ce manque de business model du CCS, la question de l’utilisation du CO2 a été posée et le « u » du CCUS est arrivé. Outre les utilisations actuelles de la molécule, de nouvelles utilisations font en effet l’objet de beaucoup de recherches. 

Il y a tout d’abord les utilisations où le CO2, par ses propriétés physico-chimiques, trouve « plus thermodynamiquement » sa place. Ces utilisations n’entraînent pas de besoin de fournir de l’énergie pour lier la molécule de CO2 d’autres atomes. La minéralisation, par exemple, permet en faisant réagir le CO2 de produire des carbonates comme le carbonate de calcium synthétique utilisé notamment pour fabriquer la pâte à papier. La perspective est d’étendre ce concept à des carbonates fabriqués à partir de déchets, par exemple des résidus de centrales thermiques ou des gravats de démolition, et qui peuvent ainsi resservir de matériaux de construction. Les cimentiers, et plus généralement les fournisseurs de matériaux de construction, s’intéressent à ces solutions pour la fabrication de bétons, ciments et agrégats qui pourrait incorporer du CO2. Ces nouvelles applications, faisant réagir chimiquement le CO2, peuvent nécessiter de l’apport d’énergie pour des questions de cinétique (broyage des matériaux, augmentation de la vitesse de réaction) et non de thermodynamique.

Une autre utilisation à l’étude concerne les E-fuels. Il s’agit de recomposer les molécules produites à base d’hydrocarbures (méthane, etc.) en récupérant le CO2 dans l’air ou les fumées des industries au lieu d’aller le chercher dans le sous-sol. Ce point pose question car pour élaborer les produits que l’on a aujourd’hui il faut, contrairement au carbone présent dans le sous-sol sous forme d’hydrocarbures, fournir de l’énergie, souvent sous forme d’hydrogène, au carbone présent dans l’atmosphère sous forme de CO2 pour le réduire. La fourniture d’énergie est alors indispensable thermodynamiquement.

Si le CCS a une efficacité démontrée sur le climat car, globalement, on réduit davantage les émissions de CO2 dans l’atmosphère qu’on n’en émet par l’énergie dépensée pour le capter, cela est plus difficile à démontrer pour les utilisations du CO2. Des analyses plus approfondies, notamment des analyses de cycles de vie, sont un outil privilégié pour étudier cela.

Le CCS revient à l’ordre du jour pour les industries. En Europe, l’industrie, a contrario des électriciens, a moins d’alternatives que le CCS pour se décarboner. Aujourd’hui, des projets en pointe sont en cours aux Pays-Bas et en Norvège. Ils semblent réunir les conditions sine qua non de réussite : des business model et des solutions de stockage. Face à ces zones industrielles du nord de l’Europe souvent considérées comme très compétitives, les zones industrielles françaises gagneraient à (re)analyser rapidement l’intérêt que peut représenter pour elles le CCS.
  

Les projets phares sur la filière CCUS 

David Nevicato, Responsable du programme R&D CCUS (Total

Dès les années 2010, nous avons évalué la première chaîne CCS en Europe à Lacq (Pyrénées-Atlantiques), en collaboration notamment avec Air Liquide. Nous avons stocké 51 000 tonnes de CO2 dans un ancien réservoir de gaz. Il a été démontré qu’il était possible de stocker du CO2 en toute sécurité et sans impact sur l’environnement. Ce projet a pu aussi se faire grâce au dialogue conduit avec les riverains, les pouvoirs publics et l’ensemble des parties prenantes.
Aujourd’hui, nous sommes impliqués dans trois projets de taille industrielle avec des finalités et des business models propres.

Northern Lights est un projet qui vise à décarboner l’industrie dans lequel sont engagés Shell, Equinor et Total. Il est coordonné par le gouvernement norvégien. Il consiste tout d’abord à capter du CO2 issu de deux sites (capacité de 800 000 tonnes/an), la cimenterie de Brevik (Heidelberg) et l’incinérateur de la ville d’Oslo (Fortum). Il s’agit ensuite de transporter le CO2 par bateau vers un stockage intermédiaire situé sur la façade ouest de la Norvège, avant son stockage définitif en offshore dans un aquifère salin profond. Le CO2 sera transporté de sa zone de stockage intermédiaire à son stockage géologique par pipeline. La capacité de stockage pourrait être augmentée jusqu’à 5 millions de tonnes/an de CO2. Il sera injecté sous forme liquide, cette solution permettant de stocker de grandes quantités de CO2 et d’en maîtriser la pression. La phase étude du projet arrive à son terme avec pour objectif une décision d’investissement en 2020-2021 et une première injection en 2023-2024. La recherche d’un modèle économique est également à l’étude avec nos partenaires, le gouvernement norvégien ainsi qu’avec d’autres industriels qui capteront leur CO2. Ce projet sera la première chaîne CCUS commerciale dans le monde.

Clean Gas Project, dans lequel sont engagés, BP, Equinor, Shell, ENI, OXY et Total, est un projet de captage de CO2 sur un site de production électrique à partir de gaz situé à Teesside (UK). Les études sont financées par l’OGCI-CI (Oil and Gas Climate Initiative - Climate Investments). Le projet prévoit la construction d’une centrale de production électrique à partir de gaz avec captage de CO2 et la mise en place d’un réseau de collecte (cluster hub) de CO2, où pourront se connecter d’autres industriels avec un objectif de 4 millions de tonnes/an de CO2. Le stockage est envisagé dans deux réservoirs en Mer du Nord. Le projet est en phase de pré-étude de détail et son modèle économique reste à définir. Un principe de rémunération via le prix de rachat de l’électricité est l’une des solutions à l’étude.

Le projet Acorn vise à produire un hydrogène décarboné destiné à alimenter les réseaux de gaz pour la production d’énergie thermique. Acorn implique Shell, Chrysaor et Total. Le projet, en Écosse, est piloté par la société d’étude Pale Blue Dot Energy. Il a pour modèle la réutilisation d’anciennes installations pétrolières aussi bien pour la partie pipeline que la partie stockage et infrastructures en offshore. L’objectif est de capter du CO2 sur une unité de production d’hydrogène à partir de gaz. Cela présente l’avantage de capter un CO2 relativement concentré et donc avec des coûts moins élevés que ceux d’une installation de captage à partir d’une centrale thermique gaz. Le projet est encore au stade conceptuel avec un objectif d’injection au-delà de 2025. La capacité de captage sera aux alentours 500 000 t/an mais d’autres émetteurs de CO2 de la région pourraient se greffer sur cette infrastructure.

Ces projets ont des capacités de stockage importantes (environ 14 millions de tonnes/an) mais qui restent limitées au regard de la cible de 300 millions de tonnes de CO2/an en 2050 en Europe selon le scénario durable de l’AIE. Pour atteindre cet objectif, une nouvelle filière industrielle reste à construire au rythme d’une start-up afin d’amorcer de nombreux projets de captage et stockage avec les financements associés. Différentes initiatives existent à travers le monde, aux États-Unis (le Departement of Energy a débloqué, en 2019, 55 millions d’euros sur des projets d’étude de captage de CO2) et en Europe (H2020, Innovation Fund) notamment.

La capacité de stockage dans le monde va bien au-delà de nos besoins d’après les estimations. Mais il est nécessaire de progresser pour certifier ces capacités sur le long terme. On a beaucoup progressé dans le domaine de l’exploration pétrolière. Il faut maintenant passer à l’exploration des grands aquifères salins destinés à stocker le CO2. C’est dans cette phase que nous devons engager nos industries.
   

Rôle et perspectives de la R&D autour des technologies CCUS

Florence Delprat-Jannaud, Responsable de programme CCUS (IFPEN)

Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050, il est indispensable de mettre en place rapidement des technologies de captage et de stockage du CO2. Plus l’Accord de Paris tarde à s’appliquer, plus le CCS est indispensable. La technologie, qui est mature, n’est pas encore suffisamment déployée aujourd’hui. Seuls une vingtaine de projets sont mis en œuvre à une échelle industrielle alors qu’il en faudrait 2 000 à horizon 2050. Le rôle de la recherche et de l’innovation est donc d’aider à accélérer le déploiement de la technologie : réduire les coûts de captage, démontrer la faisabilité du stockage massif. À IFPEN, nous travaillons avec les industriels pour nous assurer que ces technologies répondent bien à leurs besoins et qu’elles puissent être mises sur le marché rapidement.

Le principal enjeu lié au captage du COest la réduction des coûts et de la pénalité énergétique.
Nous conduisons donc une recherche incrémentale qui vise à optimiser les procédés existants qui seront déployés dès demain, et nous travaillons aussi sur des procédés moins matures, des procédés innovants, voire des technologies de rupture qui permettront des réductions de coût encore plus significatives.

IFPEN a lancé le projet 3D en mai 2019. Financé par la Commission européenne, il est réalisé en partenariat avec Total, ArcelorMittal et Axens. L’objectif est de démontrer un procédé de captage du CO2 par solvant sur un haut-fourneau d’ArcelorMittal. Le procédé, qui a demandé plus de 10 ans de recherche à IFPEN, est aujourd’hui mature. Cette étape de démonstration est la dernière étape avant la mise sur le marché, envisagée pour 2025. Nous ciblons une réduction des coûts de l’ordre de 30 % par rapport aux procédés existants.

En parallèle, IFPEN prépare l’avenir en développant des procédés moins aboutis comme l’oxycombustion. Il s’agit de transformer une chaudière afin qu’elle brûle à l’oxygène et produise des fumées plus concentrées en oxygène, et donc un CO2 plus facile à séparer. Le développement de ce procédé, également financé par la Commission européenne, est réalisé en partenariat avec Total. Il est également soutenu par la Chine, où le pilote est en cours de construction. La mise sur le marché est prévue pour 2030.

Et enfin, IFPEN travaille sur des procédés encore plus innovants, avec un potentiel de réduction des coûts encore plus élevé et une mise sur le marché post 2030. Il est très important de travailler sur toute la chaîne de maturité des procédés ; c’est la mise en œuvre de procédés divers et de plus en plus performants qui permettra de gagner en apprentissage et d’accélérer le déploiement du CCS.

La question du stockage du dioxyde de carbone est également la clé du déploiement de la filière CCUS, car sans stockage, on ne captera pas. Le stockage requis pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 est un stockage massif. Le rôle de la R&I est d’affiner la caractérisation des zones de stockage pour en quantifier les capacités et démontrer la faisabilité du stockage massif. Le stockage du CO2 est envisagé dans des réservoirs d’hydrocarbures épuisés ou dans des aquifères salins profonds. Ces couches, qui se situent à plus de 1 000 m de profondeur, ont la capacité de stocker sur la durée mais elles n’ont pas encore été étudiées par l’exploration pétrolière. Nous devons également garantir la pérennité du confinement en toute sécurité. Des méthodes de surveillance existent, issues de tous les travaux sur le stockage du gaz notamment. L’enjeu maintenant est de les déployer à grande échelle.

Aujourd’hui, les technologies CCUS existent et les acteurs industriels sont là. Nous sommes prêts. Des verrous restent à lever : un prix du CO2 à la hauteur de son impact sur l’environnement, des aspects réglementaires tels que la révision du droit minier pour couvrir le stockage du CO2 et la responsabilité sur des centaines d’années. Des discussions sont en cours à l’échelle nationale et européenne.
Enfin, la mise en place de démonstrateurs est essentielle. Ce sont les démonstrateurs qui, non seulement, amélioreront nos apprentissages, mais aussi valideront l’innovation et faciliteront les échanges avec la société civile.


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