Le recyclage des plastiques est à la fois un enjeu environnemental de premier plan et une filière industrielle en émergence pour laquelle IFPEN mobilise son expertise et son savoir-faire issus du raffinage des hydrocarbures. Du point de vue de leur recyclabilité, une particularité essentielle de ces nouveaux flux de matières est leur grande variabilité, tant au niveau de leur composition (types de polymères, additifs, textiles mixtes, etc.) que de leur nature physique (plastiques multicouches, tissus envers/endroit, etc.), voire des erreurs de tri. Il est donc essentiel de développer des analyses en continu afin de déterminer la qualité du flux à traiter en s’appuyant sur des propriétés pertinentes des matériaux contenus.
À l’instar des centres de tri qui utilisent la spectrométrie Proche Infrarouge (PIR) pour classer les plastiques en grandes familles chimiques, nous explorons l’utilisation des données issues de la caméra hyperspectrale (HSI : Hyper-Spectral Imaging) pour une caractérisation encore plus fine des matériaux et de leur hétérogénéité, en remontant si possible jusqu’à une composition chimique quantitative [1].
Ainsi, IFPEN dispose d’un accès à la caméra HSI (Specim SWIR) installée sur la plate-forme AXEL’ONE. Cette technologie d’analyse rapide, dite « pushbroom »1, permet d’obtenir pour chaque pixel de la zone analysée une signature spectrale complète. Contrairement à une image couleur classique composée de trois longueurs d’onde (RGB : Rouge-Vert-Bleu), le spectre obtenu ici couvre 288 longueurs d’onde, allant de 1000 à 2500 nm (10 000 à 4 000 cm⁻¹). Ce domaine spectral est particulièrement riche en informations sur la nature chimique des liaisons moléculaires au sein des matériaux analysés. Ces « empreintes spectrales » peuvent ensuite être exploitées grâce à des traitements chimiométriques (analyses multivariées) de deux manières :
- Non supervisée : par Analyse en Composantes Principales (ACP), pour identifier les principales sources de variabilité dans la base des données acquises et visualiser leur distribution.
- Supervisée pour effectuer
- La classification des objets ou des pixels (via PLSDA2).
- La prédiction quantitative de la composition ou d’une propriété (via PLS3).
- La classification des objets ou des pixels (via PLSDA2).
L’exploitation de ces données 3D4 commence par une étape de segmentation des images pour localiser les objets présents. Seuls les pixels d’intérêt sont conservés et analysés. Ensuite, les données spectrales sont prétraitées pour minimiser l’impact des paramètres physiques (hauteur de l’échantillon, état de surface, orientation, ombres, etc.) qui peuvent altérer le spectre et masquer les informations chimiques.
1 Fonctionnement en mode balayage comme une photocopieuse
2 Partial Least-Square Discriminant Analysis : algorithme qui permet de faire simultanément de la réduction de dimensions et de la classification (variante de la PLS)
3 Partial Least-Square : algorithme de modélisation empirique basée sur une analyse statistique qui permet de trouver, pour une base d’échantillons, les corrélations entre une matrice de descripteurs X et un vecteur de propriété Y. Les variables latentes du modèle sont calculées par maximisation de la co-variance entre X et Y
4 3D : 2 dimensions spatiales et 1 dimension spectrale (donnée en pseudo-absorbance)
S’ensuit l’analyse proprement dite, illustrée à la figure 1 pour un mélange de broyat textile constitué à 50 % de polyester et à 50 % de fibres naturelles (figure 1.a).

a) Exemple d’un échantillon de broyat positionné sous la caméra sur un petit convoyeur de paillasse.
b) Visuels du logiciel d’exploitation après prétraitement et analyse en ACP.
À droite de la figure 1b, les fausses couleurs utilisées pour représenter la première composante principale de l’ACP, après normalisation des données5, mettent en évidence l’hétérogénéité de composition chimique de l’échantillon. Les pixels aux teintes bleues sont ici caractéristiques du polyester et les plus rouges aux plus fortes teneurs en coton.
5 Normalisation par SNV (Standard Normal Variate) : chaque spectre est soustrait de sa moyenne est divisé par son écart type.
Les spectres présentés en haut à gauche de cette même figure montrent clairement la diversité des signatures spectrales selon la composition des fragments. En effet, cette signature étant caractéristique du matériau (coton, polyester, polyamide, … pur ou en mélange), l’exploitation du signal permettra de remonter à la composition globale de la charge textile en tenant compte de son hétérogénéité.
En bas à gauche de la figure 1b, le "scores plot" représente les composantes 1 et 2 de l’ACP, où les couleurs indiquent la densité des pixels. Par exemple, le spectre jaune correspond aux pixels surlignés en jaune dans le "score plot" et localisés à droite, au niveau des fragments de tissu grisés (suivre les flèches !).
Cette manière de travailler doit permettre de caractériser des flux de polymères sous forme de granulés, paillettes ou textiles. Pour ce faire, nous enrichissons progressivement notre base de données avec des matériaux de référence, en vue d’alimenter des modèles quantitatifs performants.
La caractérisation des polymères noirs (chargés en noir de carbone) constitue l’une des principales limitations de cette technique, car aucun signal exploitable ne peut être récupéré. Pour surmonter cette contrainte, des travaux spécifiques sont actuellement menés en spectrométrie de fluorescence 2D sur ces matériaux [2].
Références :
- Paz, M.L.; Sousa, C. Discrimination and Quantification of Cotton and Polyester Textile Samples Using Near-Infrared and Mid-Infrared Spectroscopies. Molecules 2024, 29, 3667.
>> DOI : https://doi.org/10.3390/molecules29153667
- Gruber, F.; Grählert, W.; Wollmann, P.; Kaskel, S. Classification of Black Pla/node/1896/stics Waste Using Fluorescence Imaging and Machine Learning. Recycling 2019, 4, 40.
>> DOI : https://doi.org/10.3390/recycling4040040
Contact scientifique : Noémie Caillol