21.02.2025

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Pour répondre aux enjeux climatiques, la transition vers des énergies renouvelables et la décarbonation des transports sont incontournables, avec un rôle central dévolu à la mobilité électrique et aux batteries lithium-ion. Le vieillissement des batteries est un phénomène complexe, influencé par un grand nombre de facteurs, et nécessite des modèles robustes pour prédire et optimiser leur utilisation. Les travaux de thèse de Quentin Mayemba ont abouti à un modèle innovant de machine learning généraliste capable de s’adapter à divers jeux de données pour prédire le vieillissement des batteries. Ces contributions, d’une grande valeur pour la communauté scientifique, fournissent des outils solides et des perspectives nouvelles pour le développement de méthodologies adaptées à l’étude des batteries lithium-ion.
 

Contexte général : améliorer la fiabilité des batteries

Face au réchauffement climatique, la réduction de l'impact carbone est devenue une priorité mondiale qui rend essentielles la transition vers des sources d'énergie renouvelables et la décarbonation des secteurs clés, tels que les transports. Dans ce contexte, la mobilité électrique joue un rôle central en offrant une alternative durable aux véhicules thermiques traditionnels. Les batteries lithium-ion, en tant que composants centraux des véhicules électriques, sont au cœur de cette révolution énergétique. Leur performance, leur durée de vie et leur fiabilité sont déterminantes pour le succès de la mobilité électrique et, par conséquent, pour l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO2. Comprendre et prédire le vieillissement des batteries devient donc indispensable pour optimiser leur utilisation. Cela passe notamment par la simulation numérique, avec des logiciels comme Amesim (développé par Siemens), lequel permet de reproduire et d'analyser les comportements thermiques, électriques et mécaniques des batteries, et offre ainsi un outil puissant pour améliorer leur conception et leur gestion.
Cependant, le vieillissement des batteries lithium-ion est un phénomène complexe, influencé par de multiples facteurs tels que la température, les cycles de charge et de décharge, l’état de charge etc.  À l’intérieur des cellules, des réactions chimiques et mécaniques se produisent, entraînant une perte progressive de capacité et une augmentation de la résistance interne. Ces mécanismes interdépendants varient considérablement selon la chimie des batteries (par exemple NMC1 ou LFP2, …) et leurs conditions d’utilisation.
Par exemple, des dépôts de lithium (Fig. 1) peuvent se former sur l’électrode négative, limitant le mouvement des ions lithium, et réduisant l’énergie utilisable3, tandis que des dégradations à l’électrode positive peuvent altérer la structure du matériau actif. Face à cette diversité de phénomènes, l’élaboration d’un modèle à la fois générique et polyvalent pour capturer l’ensemble des processus potentiels est apparue nécessaire.


1 Nickel Manganèse Cobalt
2 Phosphate de fer Lithié
3 Couramment dénommée « capacité cyclable »
 

Figure 1 : Illustration des mécanismes de vieillissement des batteries lithium-ion


Dans ce contexte, les travaux de thèse de Quentin Mayemba [1], menés en collaboration avec Siemens et le laboratoire Ampère de l’INSA de Lyon, ont permis de développer un algorithme générique, basé sur l’intelligence artificielle, capable de s’adapter à tout type de cellules et aux différents mécanismes de leur vieillissement. L’objectif principal de ce travail est de créer des outils de pronostic du vieillissement des batteries dans le but d’être intégré à un logiciel de simulation système. Les deux publications qu’il a engendrées explorent les données de vieillissement des batteries et comparent des approches classiques avec un recours à l’intelligence artificielle (apprentissage machine).
 

Les quatre phases des travaux de thèse 

La thèse de Quentin Mayemba a consisté en plusieurs étapes clés :
1.    Benchmarking des algorithmes d’apprentissage machine : Parmi les algorithmes identifiés lors de l'étude bibliographique puis testés, dont les SVM4, KNN5, arbres décisionnels6 ou les réseaux de neurones7, le modèle XGBoost8s’est montré globalement le plus performant mais a montré ses limites dans la reproductibilité de ses prédictions sur l’ensemble des conditions de vieillissement. Par la suite les réseaux de neurones ont été privilégiés pour permettre de s’adapter à tout type de base de données.
2.    Analyse des bases de données [2] : Une revue approfondie de la littérature a permis de recenser une trentaine de bases de données pertinentes sur le vieillissement des batteries, couvrant une large gamme de chimies et de conditions d'utilisation. Leur analyse détaillée, prenant en compte la diversité des chimies, les paramètres de fonctionnement (température, état de charge - SOC, courants de charge et de décharge) a permis d’évaluer les spécificités et les limites de chaque ensemble de données, en vue d’en exploiter le potentiel pour la modélisation du vieillissement. Au terme de cette démarche, trois bases de données ont été jugées particulièrement pertinentes pour la suite du travail, en raison de leur qualité, de leur richesse en informations et de leur adéquation avec les objectifs de la recherche.
3.    Développement et application des outils d’apprentissage machine [3] : Sur la base de l'analyse des données, des algorithmes d’apprentissage machine ont été développés et appliqués pour prédire l'état de santé des batteries. Ces outils incluent des réseaux de neurones « simples » et d'autres modèles avancés capables de capturer des tendances à long terme. Les performances de ces algorithmes ont été évaluées sur les différentes bases de données, permettant ainsi de comparer leur efficacité par rapport aux modèles empiriques traditionnels.
4.    Hybridation des modèles : En complément de la thèse, un travail de stage a porté sur l’hybridation des modèles empiriques et de l’apprentissage machine, les sorties des modèles empiriques étant utilisées comme entrées pour les réseaux de neurones. Les résultats montrent que l’hybridation peut améliorer les performances si les modèles empiriques sont de qualité suffisante. Dans le cas contraire, ils peuvent perturber l’apprentissage, soulignant ainsi l’importance de données fiables et pertinentes et le rôle central de la sélection des variables.

4 Machines à vecteurs de support :  algorithmes d'apprentissage automatique supervisé pour la détection des valeurs aberrantes, la régression et la classification
5 Méthode des k plus proches voisins pour l’apprentissage supervisé
6 Arbre structurant les choix en fonction de seuils optimisant la séparation
7 Méthode d’apprentissage inspirée du fonctionnement du cerveau humain
8 Modèle supervisé basé sur arbres décisionnels corrigés par pondérations successives.


Apport et particularité de la méthode de construction de l’algorithme
 

La méthode utilisée est basée sur des « tranches de vies » définies selon des seuils établis issus de la connaissance métier, dans le but de segmenter le cycle de vie d’une batterie en différentes périodes. Chacune de celles-ci est caractérisée par des paramètres de fonctionnement uniques tels que la température et l’état de charge (SOC9), ainsi que les courants de charge et de décharge. En analysant ces tranches de façon séparée, il devient possible d’identifier des phases critiques où le vieillissement s’accélère ou change de nature.
Cette approche facilite l’utilisation des données disponibles, même lorsque celles-ci présentent des lacunes ou sont issues de protocoles de caractérisation variés. Par ailleurs, elle permet de prendre en compte dans la modélisation les tendances à long terme. Les réseaux de neurones (figure 2) entraînés sur ces tranches sont mieux équipés pour généraliser les résultats, assurant une précision accrue. 
 

9 State of Charge

 

Figure 2 : Architecture d'un réseau de neurones utilisé pour la prédiction du vieillissement des batteries


Résultats clés et perspectives


Les algorithmes développés en s'appuyant sur trois bases de données différentes ont démontré une capacité accrue à prédire la perte de capacité des batteries par rapport aux algorithmes de la littérature (figure 3). Ces bases incluaient des profils de cyclage distincts, tels que la charge rapide et l’usage stationnaire, ainsi que des conditions environnementales diversifiées. En particulier, les réseaux de neurones ont permis de capturer des phénomènes complexes et des tendances à long terme grâce à l’analyse des tranches de vie. Les résultats obtenus révèlent une précision significativement supérieure à celle des modèles empiriques classiques, avec une erreur quadratique moyenne réduite à moins de 3 %. Au global, les modèles développés se montrent environ deux fois plus performants que les approches classiques en termes de précision.

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Figure 3 : Comparaison des prédictions de perte de capacité (Qloss​) sur différentes conditions d'utilisation : températures, SOCs, courants, … (les points correspondent aux valeurs expérimentales et les courbes aux simulations)



Intégrés à un logiciel de simulation système, ces modèles peuvent contribuer à optimiser les stratégies de gestion et de maintenance des batteries et ainsi améliorer l’efficacité de ces dernières dans un usage quotidien tout en prolongeant leur durée de vie. Ces avancées trouvent des applications concrètes dans des domaines variés, de la mobilité électrique au stockage stationnaire, où une meilleure prévision du vieillissement permet une planification plus efficace de la maintenance et une réduction des coûts opérationnels.
Menés dans le cadre d’une collaboration multidisciplinaire, ces travaux ont abouti à la création de modèles hybrides, associant modèles classiques et apprentissage machine, qui représentent une avancée importante pour un usage optimal des batteries et pour l’avenir des applications qu'elles alimentent.
En termes de perspectives, les modèles pourraient être améliorés notamment en automatisant et en optimisant la sélection des seuils pour les tranches de vie des batteries. De plus, le développement d’outils d’intelligence artificielle explicables (XAI)10 renforcerait la transparence et leur adoption industrielle. Enfin les modèles développés pourraient être enrichis pour prédire des mécanismes spécifiques de vieillissement, tels que la perte de masse active, la perte de lithium cyclable et l’évolution de la résistance interne. Toutes ces évolutions contribueront à affiner la compréhension du vieillissement des batteries et à maximiser leur efficacité dans des applications variées.
 

10 Systèmes d'IA qui prennent des décisions et expliquent comment et pourquoi ces décisions ont été prises


Références :

[1] Thèse de Q. Mayemba, Développement d’algorithmes d’intelligence artificielle pour estimer l’état de santé des batteries lithium-ion, soutenue le 13/01/2025 à l’Université de Lyon

[2] Mayemba, Q., Ducret, G., Li, A., Mingant, R., & Venet, P. (2024a). "General Machine Learning Approaches for Lithium-Ion Battery Capacity Fade Compared to Empirical Models." Batteries, 10(10), 367. 
>> https://doi.org/10.3390/batteries10100367

[3] Mayemba, Q., Mingant, R., Li, A., Ducret, G., & Venet, P. (2024b). "Aging datasets of commercial lithium-ion batteries: A review." Journal of Energy Storage, 83, 110560. 
>> https://doi.org/10.1016/j.est.2024.110560
 

Contacts scientifiques : Gabriel Ducret, Rémy Mingant