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Thèse de Delphine Herrera : « Caractérisation et études cinétiques de la formation de microémulsions bicontinues - Impact des asphaltènes »

Dans le contexte de la transition énergétique, il est prévu que la production pétrolière aille en diminuant au rythme de la montée en puissance des énergies décarbonées et de l’évolution des besoins des populations en la matière.

Durant cette transition, il apparaît plus pertinent de chercher à améliorer l’extraction du brut dans les gisements déjà exploités que de mettre en production de nouveaux champs. 

C’est pourquoi la récupération assistée du pétrole (EOR Enhanced Oil Recovery) est un enjeu important. Cette pratique consiste par exemple à injecter des solutions aqueuses de tensio-actifs qui vont permettre la formation de microémulsions et ainsi éliminer les forces capillaires s’opposant à l’écoulement dans le milieu poreux du réservoir. Ces microémulsions, stables thermodynamiquement, se présentent sous forme de mélanges bicontinus (Figure 1).

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Figure 1 : Exemple de microémulsion bicontinue ; le schéma au centre donne une représentation de la phase bicontinue ou phase éponge à l’échelle de 100 nm ; le schéma de droite donne une représentation du film interfacial, constitué de tensio-actifs, séparant l’huile et l’eau dans cette phase bicontinue à l’échelle de 10 nm.

La formulation des solutions à injecter est choisie de manière à maximiser la mobilisation des hydrocarbures piégés dans la roche réservoir. Ce choix est effectué en laboratoire sur la base de critères relatifs à la stabilité des microémulsions formées et des tensions interfaciales. Or, lors d’essais avec des pétroles bruts réels, la visualisation de la microémulsion est généralement délicate du fait de son opacité et de ses interfaces mal définies avec les phases aqueuse et huileuse en excès. L’expérimentateur se trouve alors confronté à de multiples difficultés pour caractériser les propriétés recherchées et s’assurer que l’on est en présence d’un véritable système de microémulsion à l’équilibre thermodynamique. De plus, peu d’approches permettent d’avoir accès à la cinétique de formation de ces systèmes complexes, a fortiori dans les conditions du réservoir. 

Il est donc nécessaire d’effectuer ces essais sur des microémulsions à base d’huiles modèles, dites équivalentes au pétrole brut à extrairea. Cependant la question de la représentativité des microémulsions formées par rapport aux cas réels se pose, en l’absence des éléments tensioactifs, notamment les asphaltènes, qui sont naturellement présents dans les hydrocarbures. De plus cette différence de composition ne permet pas de garantir une cinétique de formation de la microémulsion analogue à celle qui se produirait réellement après injection dans le réservoir. 

Pour progresser dans la caractérisation des microémulsions complexes et dans la compréhension des facteurs influençant leur formation, un travail doctoral a été entrepris selon une approche multi-échelle, depuis les structures aux interfaces (ordre du nanomètre) jusqu’au comportement global de la microémulsion.

Dans un premier temps, ce travail a porté sur le développement et la mise en œuvre de méthodes de caractérisation non-destructives - RMN, Microscanner, SAXS et DLSb - destinées à mieux comprendre les mécanismes de formation de microémulsions modèles et asphaltèniques
Au plan méthodologique, une application nouvelle de la RMN a été développée spécifiquement pour cette étude et un bon accord a été trouvé avec une autre approche originale par tomographie X [1]. La RMN est une des rares méthodes adaptées aux systèmes opaques ou noirs pour la détermination des compositions des différentes phases de manière à la fois simultanée, rapide et locale. Un exemple de résultat est donné sur la Figure 2.

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Figure 2 : Compositions et épaisseurs des phases des microémulsions déterminées sur un système modèle (saumure 54 g/L NaCl/SDS(c)/n-butanol/toluène) et un système avec 0,5 % d’asphaltènes.
Les compositions détaillées en saumure, toluène, n-butanol et SDS ont été déterminées par RMN. La courbe en rouge indique la teneur en saumure et tensioactif SDS, déterminée par microtomographie aux rayons X.
Les clichés présentent la structure de la microémulsion obtenue par cryo-MET. 

Dans un second temps, l’impact de la présence des asphaltènes sur la structure des microémulsions a été plus amplement étudié grâce à la complémentarité de plusieurs techniques : diffusion de Rayon-X et de neutrons (SAXS/SANS), microscopie électronique en transmission par cryofracture (cryo-MET), microcalorimétrie DSCd et mesures de rhéologie interfaciale par goutte tournante oscillante.

En l’absence d’agitation, et en présence ou non d’asphaltènes, la comparaison des résultats obtenus a mis en évidence la présence transitoire d’une phase semi-cristalline lors de la formation de la microémulsion [2]. La présence d’asphaltènes engendre en outre un gonflement macroscopique de la phase bicontinue des systèmes observés, phénomène qui a pu être corrélé à une augmentation de la taille des domaines de la microémulsion à l’échelle microscopique. Par ailleurs, les caractéristiques du film interfacial ont été déterminées et semblent indiquer que les asphaltènes ont un impact significatif d’une part sur sa rigidité et d’autre part, à plus grande échelle, sur les propriétés rhéologiques.

Un résultat d’intérêt majeur concernant l’efficacité du procédé EOR est que la présence des asphaltènes ne modifie pas la nature bicontinue de la microémulsion formée, paramètre-clé du procédé, mais entraîne uniquement la présence d’eau dans la phase huileuse en excès.

Au-delà d’un apport à la compréhension des mécanismes relatifs à la formation des microémulsions, ce travail de thèse a permis de se doter d’une nouvelle méthodologie expérimentale, fondée sur un ensemble de techniques robustes et complémentaires, pour mieux caractériser leur comportement. Cet acquis pourra être étendu à d’autres cas d’applications mettant en jeu des microémulsions : procédés réactifs, extractifs ou de synthèse de nanoparticules.
 


a- Présentant le même nombre d’atomes de carbone.
b- RMN : Résonance magnétique nucléaire, SAXS (Small Angle X-rays Scattering) : Diffusion des rayons X aux petits angles et DLS (Dynamic Light Scattering) : Diffusion dynamique de la lumière.
c- Sodium Dodécyl Sulfate.
d- DSC (Differential Scanning Calorimetry).

 


Références :

  1. D Herrera, T Chevalier, M Fleury, C Dalmazzone, "Quantification of microemulsion systems using low-field T1-weighted imaging", Magnetic Resonance, Imaging 83 (2021) 160–168.
    >> https://doi.org/10.1016/j.mri.2021.08.002
       

  2. D Herrera, T Chevalier, D.Frot, L Barré, A Drelich, I Pezron, C Dalmazzone, "Monitoring the formation kinetics of a bicontinuous microemulsion", Journal of Colloid and Interface Science 609 (2022) 200–211.
    >> https://doi.org/10.1016/j.jcis.2021.12.011

      

Contacts scientifiques : Christine Dalmazzone ; thibaud.chevalier@ifpen.fr

>> NUMÉRO 50 DE SCIENCE@IFPEN