13.08.2024
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La géothermie est une source d’énergie renouvelable, mais les fluides géothermiques peuvent être très dommageables même pour des alliages métalliques supposés résistants. Qu’il s’agisse de corrosion simple ou sous contrainte, le phénomène peut être encore plus sévère en cas de formation de dépôts minéraux, phénomène qui a par ailleurs l’inconvénient de réduire le rendement thermique des équipements atteints. Pour mieux comprendre ces risques, des équipes de recherche d’IFPEN, INSA-Lyon, Mines de Saint-Etienne et l’Institut de la Corrosion collaborent dans le cadre du projet GeoSteelCor. Des méthodologies ont été développées pour maîtriser la formation de dépôts minéraux sur des surfaces métalliques, dans des conditions de laboratoire, et de manière plus réaliste dans une boucle de corrosion à haute pression et haute température. Ces méthodologies ont finalement permis d’étudier l’impact des dépôts minéraux sur la corrosion sous contrainte.
Des eaux géothermales au fort pouvoir corrosif
La transition vers une économie décarbonée nécessite d’intensifier l’utilisation de sources d’énergies plus durables, comme la géothermie. Les eaux géothermales, très minéralisées, et les gaz acides associés (CO2, H2S) peuvent être sources de corrosion des équipements employés et particulièrement ceux en acier au carbone. Pour certaines conditions très corrosives, des grades d’acier inoxydables voire d’alliages de nickel peuvent être nécessaires, et c’est alors un mode de dégradation de type corrosion sous contrainte qui doit être considéré. En outre, ces phénomènes de corrosion peuvent être exacerbés par la présence de dépôts minéraux dont la formation est facile dans ces solutions très riches en ions dissous, lors de changements de conditions environnementales (variation de température et/ou de pression) subies par les fluides. A noter que cet encrassement conduit aussi à des pertes de rendement thermique et à des risques de bouchage des installations.
Un plan d’action coordonné pour étudier l’impact des dépôts minéraux
Afin de mieux comprendre l’influence des dépôts minéraux sur les risques de corrosion et de corrosion sous contrainte des aciers, les équipes spécialisées d’IFPEN, de l’INSA-Lyon, de l’école des Mines de Saint-Etienne, et de l’Institut de la Corrosion se sont associées pour mener des travaux de recherche, notamment dans le cadre du projet de recherche GeoSteelCor1. Ces travaux ont visé à développer des méthodologies pour maîtriser la formation de dépôts minéraux sur des surfaces métalliques, d’abord dans des conditions simples au laboratoire, puis en réalisant une transition d’échelle vers une boucle de corrosion à haute pression et haute température. Ces méthodologies ont également été utilisées pour étudier l’impact des dépôts minéraux sur la corrosion sous contrainte.
1 Projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR 21-CE05-0024)
Suivi de la réponse électrochimique d’une surface métallique lors de la formation d’un dépôt minéral
En pratique, la précipitation de dépôts minéraux dans des installations industrielles se produit souvent sur des surfaces soumises à des échanges thermiques. En effet, la solubilité dans l’eau de nombreuses espèces minérales varie avec la température. Cette propriété a été utilisée pour développer un montage expérimental original dans lequel un tube en acier est exposé sur sa face externe à un milieu corrosif fortement minéralisé, alors qu’un fluide caloporteur circule à l’intérieur [1-3]. Les échanges thermiques à travers les parois du tube favorisent la précipitation en surface, et il est possible de réaliser des mesures électrochimiques pour suivre l’évolution de la réponse du métal lorsque le dépôt se forme (Figure 1).
Des dépôts mixtes de plusieurs centaines de micromètres d’épaisseur contenant deux polymorphes du carbonate de calcium (aragonite et calcite) se sont formés en quelques jours (Figure 2).
Pour expliquer l’effet de ce dépôt sur la corrosion, un modèle électrochimique impliquant une limitation diffusionnelle associée à un comportement d’électrode poreuse a pu être proposé (Figure 3).
Couplage entre sollicitations mécaniques, dépôt minéral, et environnement corrosif
Afin d’étudier l’impact des dépôts minéraux sur les risques de corrosion sous contrainte, un nouveau montage a été développé afin de promouvoir la formation de dépôt sur des éprouvettes de traction (Figure 4). Cette dernière a été placée dans une solution aqueuse au pH proche de la neutralité (favorable à la formation d’un dépôt de carbonate de calcium à température et pression ambiantes) puis chauffée à 90 °C. Aucun effet du dépôt sur la tenue à la corrosion sous contrainte n’a été observé [2, 4].
Changement d’échelle et transfert des méthodes sur une boucle de corrosion HP-HT
Les installations industrielles de géothermie sont très souvent exposées à des fluides dont la température peut excéder largement 100°C et sous des pressions de plusieurs bar ou dizaines de bar. Afin de pouvoir mieux étudier les risques de corrosion et les effets des dépôts dans des milieux représentatifs de ces conditions, les méthodologies décrites précédemment ont été transférées sur une boucle de corrosion pouvant opérer sous des pressions jusqu’à 300 bar et une température maximale de 200°C (figure 5) [5].
Conclusion : des connaissances et des procédures qui répondent aux enjeux de l’industrie
Ce travail de recherche fondamentale collaboratif permet une meilleure compréhension de l’effet des dépôts minéraux sur la corrosion et la corrosion sous contraintes des aciers. La méthodologie originale développée pour provoquer des dépôts minéraux de manière contrôlée sur des surfaces métalliques présente l’avantage d’être à la fois facile à mettre en œuvre et proche des conditions industrielles rencontrées dans les échangeurs thermiques. Elle permet un suivi électrochimique de la réponse de la surface métallique lors de la formation du dépôt, et peut en outre permettre un couplage avec des sollicitations mécaniques.
Grâce aux tests menés à l’échelle du laboratoire, un modèle électrochimique a été développé pour décrire le comportement d’acier carbone lors de la formation de tels dépôts jusqu’à des épaisseurs millimétriques.
Ces développements, couplant formation de dépôts et sollicitations mécaniques, ont ensuite été transférés sur une boucle de corrosion haute-pression / haute-température, autorisant la réalisation de tests dans des conditions plus représentatives de la production géothermique. Ces nouvelles méthodes et les connaissances qu’elles ont permis d’acquérir sont désormais mises à profit pour l’optimisation des choix de matériaux et des stratégies de contrôle des dépôts minéraux dans différents environnements industriels.
Références :
[1] G. Aristia et al., Méthodologies pour l’étude de l’impact des dépôts minéraux sur la corrosion des matériaux métalliques dans des eaux géothermiques artificielles, Congrès Matériaux 2022, Colloque 14 ID 82075, Lille (2022)
[2] F. Bertin et al., Electrochemical impedance response of a thick and porous calcium carbonate layer deposited by thermal growth on a carbon steel electrode, Corrosion Science 227 (2024) 111778
>> DOI: doi.org/10.1016/j.corsci.2023.111778
[3] F. Bertin, Impact of mineral scaling on corrosion and stress corrosion cracking of steels in geothermal environment, PhD thesis, Ecole des Mines de Saint-Etienne (2024)
[4] F. Bertin et al., Evaluation of surface corrosion and stress corrosion cracking of 13Cr stainless steel in presence of calcium carbonate scales in simulated geothermal environment containing CO2, 74th annual meeting of the International Society of Electrochemistry, Lyon (2023)
[5] G. Artisia et al., Methodologies to evaluate corrosion of carbon and stainless steels in artifical geothermal solutions, AMPP 2024 annual conference, New-Orleans (2024)
Contacts scientifiques : François Ropital, gaurav.joshi@ifpen.fr, françois grosjean@ifpen.fr, Jean Kittel
Les travaux présentés ont été principalement réalisés dans le cadre du travail de thèse de Federico Bertin « Impact of mineral deposits on the risk of stress corrosion of steels under geothermal conditions containing CO2 » ainsi que dans le cadre du projet ANR 21-CE05-0024 GeoSteelCor mené en collaboration avec l’INSA Lyon, l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et l’Institut de la Corrosion. Nous tenons particulièrement à les en remercier.
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