18.12.2023

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Les contraintes climatiques auxquelles fait face l’humanité conduisent à rechercher des alternatives aux énergies fossiles et ont suscité depuis quelques années un regain d’intérêt marqué pour la « solution hydrogène ». Ce dernier est à juste titre considéré comme un vecteur énergétique car il est nécessaire de le produire à partir d’autres ressources (électrolyse de l’eau, vaporeformage du méthane, …). Or, il est aujourd’hui établi que l'hydrogène moléculaire (H2) existe aussi à l’état naturel sous la forme d'émanations diffuses ou continues qui s’échappent de certaines formations géologiques. Cependant de nombreuses questions restent ouvertes quant à son origine, ses mécanismes de formation ou le potentiel réel d’exploitation.

De récents travaux doctoraux, menés dans le cadre d’une collaboration d’IFPEN avec l’Institut de physique du globe de Paris et l’université de Pau et des Pays de l’Adour, viennent de mettre en lumière un nouveau mécanisme permettant d’expliquer une partie des flux continentaux d’hydrogène natif.


Le mystère de l’hydrogène natif d’origine continentale


En milieu océanique, ainsi que sur les massifs de roches océaniques remontées à la surface par la tectonique des plaques (les ophiolites), la présence d’émanations d’hydrogène est largement expliquée par un phénomène d’oxydation de minéraux silicatés riches en Fe2+, tels que l’olivine ou le pyroxène [1, 2]. Le mystère subsiste néanmoins quant au domaine intra-continental, largement dépourvu de ces minéraux. Pour autant, des flux d’hydrogène y ont été aussi identifiés au cours des 10 dernières années : autour des mines de fer situées dans les cratons, ces aires continentales anciennes (datant de 600 millions à plus de 3 milliards d’années) dans lesquelles se sont déposées des formations de fer rubanées(Figure 1). 

1 ou BIF pour « Banded Iron Formations »

BIF
Figure 1a : Carotte de BIF réduites prélevée à plusieurs mètres de profondeur (Hamersley Range, Australie) ; 1b : BIF oxydées en surface dans le Nord du Minnesota (crédits : Olivier Sissmann)

 

Connaissez-vous l’origine des formations de fer rubanées ?

Les formations de fer rubanées sont des roches sédimentaires qui peuvent contenir jusqu’à 40 % de fer. Au début de l’Archéen, période de l’histoire de la Terre comprise entre 4 Ga et 2,5 Ga, l’océan était dépourvu d’oxygène et contenait du fer ferreux (Fe2+) en solution. Avec l’oxygénation des océans, ce fer ferreux s’est oxydé en fer ferrique (Fe3+) et il s’est déposé sous la forme de couches d’oxydes de fer tels que la magnétite (α−Fe3O4) et l'hématite (Fe2O3),  alternant avec des dépôts de schiste argileux et de carbonates siliceux. Ces dépôts successifs, qui s’expliquent par une sédimentation sous une épaisseur d'eau variable avec une concentration plus ou moins importante d’oxygène, se sont formés au cours du temps, entraînant ainsi la formation d’importants gisements de fer. De nos jours, plus de 80 % du minerai de fer exploité dans le monde, notamment aux Etats-Unis, en Australie, Afrique du Sud et au Brésil, provient de ces gisements.


La clé du mystère : l’oxydation de la magnétite 

Ces très vieilles formations sédimentaires, pour certaines âgées de plus de 2,5 milliards d’années, sont très riches en magnétite (α-Fe3O4), un oxyde de fer jusque-là considéré comme stable dans le milieu naturel. Cependant, des expériences d’altération de cet oxyde en laboratoire, à basse température (< 100°C) pour reproduire les conditions d’enfouissement dans la croûte terrestre, ont permis de mettre en évidence une production importante de H2 en quelques jours. Celle-ci s’est opérée via une réaction d’oxydation totale qui n’avait encore jamais été considérée et qui, en condition anoxique, transforme de la magnétite en maghémite (γ-Fe2O3) :

2 (α−Fe3O4) + H2O -> 3(γ−Fe2O3) + H2

Partant de là, un modèle phénoménologique a pu être produit (Figure 2), pour expliquer la production de cet hydrogène en profondeur dans le sol et sa remontée à travers des roches perméables.
Tandis que dans le BIF situé à faible profondeur, la maghémite (γ-Fe2O3) se développe à la suite de l’altération de la magnétite (α-Fe3O4) par de l’eau de surface riche en oxygène dissous, le nouveau mécanisme proposé pour la génération d’hydrogène à plus grande profondeur repose sur l’altération de la magnétite par de l’eau anoxique, qui permet de générer de l’H2 [3].
 

Schéma d’un BIF Archéen
Figure 2 : Schéma d’un BIF Archéen provenant de la Hamersley Range dans le craton Ouest Australien, de sa minéralogie et de sa teneur en fer. [3]


Hydrogène natif : quelles perspectives comme source d’énergie future ?

Ces résultats ont une implication majeure pour l’exploration future d’hydrogène natif en milieu continental et l’estimation des flux potentiels. Ils suggèrent en effet que les lithologies sédimentaires riches en magnétites, telles que les BIFs, abondantes et bien répandues à l’échelle de tous les continents (Figure 3), constituent de potentielles roches mères à cibler. Ils apportent aussi de nouveaux éléments de compréhension pour la formation et l’altération des gisements de fer, et la possibilité pour les compagnies minières de produire cette nouvelle ressource à finalité énergétique.
 

Carte des cratons précambriens
Figure 3 : Carte des cratons précambriens (zones en gris foncé) répartis sur l’ensemble de la planète, ainsi que des mines de fer et des flux d’H2 natifs qui y sont associés [4]


Références:

[1] C. Vacquand, E. Deville, V. Beaumont, F. Guyot, O.  Sissmann, D. Pillot,, C. Arcilla, A. Prinzhofer (2018). Reduced gas seepages in ophiolitic complexes:Evidences for multiple origins of the H2-CH4-N2 gas mixtures. Geochimica et Cosmochimica Acta, 223, 437-461. https://doi.org/10.1016/j.gca.2017.12.018
[2] V. Zgonnik, (2020). The occurrence and geoscience of natural hydrogen: A comprehensive review. Earth-Science Reviews, 203, 103140. https://doi.org/10.1016/j.earscirev.2020.103140
[3] U. Geymond, T. Briolet, V. Combaudon, O. Sissmann, I. Martinez, M. Duttines, I. Moretti, Reassessing the role of magnetite during natural hydrogen generation, Front. Earth Sci., Sec. Geochemistry, Volume 11 – 2023,  https://doi.org/10.3389/feart.2023.1169356
[4] U. Geymond, E. Ramanaidou, , D. Lévy,, A. Ouaya, I. Moretti (2022). Can weathering of banded iron formations generate natural hydrogen? Evidence from Australia, Brazil and South Africa. Minerals, 12(2), 163. https://doi.org/10.3390/min12020163
 

Contact scientifique : Olivier Sissmann