22.11.2024
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Mohammed Bin Jassar a reçu le Prix de thèse Yves Chauvin 2024 lors d'une cérémonie qui s'est tenue dans les locaux d'IFPEN à Rueil Malmaison le 21 novembre dernier. Ce prix, qui récompense chaque année un(e) doctorant(e) d’IFPEN pour la qualité et l’originalité de ses travaux de recherche, a été décerné par le Conseil scientifique d’IFPEN.
Les travaux distingués visaient à mieux comprendre, par une approche de modélisation moléculaire, la formation et le développement de la couche dite « Interphase d'électrolyte solide » (SEI) qui se forme au niveau de l'interface électrode/électrolyte dans les batteries au lithium. Le développement de la couche SEI est considéré comme le principal mécanisme de vieillissement qui conduit à la perte progressive de capacité des batteries lithium-ion.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
Après avoir terminé mes études secondaires au Yémen, j'ai obtenu une bourse pour poursuivre des études en licence de génie chimique à l'Université King Fahd du pétrole et des minéraux en Arabie saoudite. Au cours de mes études, j'ai passé un semestre à l'Université de Floride, aux États-Unis, dans le cadre d'un programme d'échange. Après ma licence, j'ai obtenu une bourse Erasmus Mundus pour poursuivre un master en nano-ingénierie chimique à l'université d'Aix-Marseille, en France, à l'université des Sciences et Technologies de Wroclaw, en Pologne, et à l'université de Rome Tor Vergata, en Italie.
Au cours de mon année de maîtrise, j'ai développé un fort intérêt pour la modélisation moléculaire et l'électrochimie, en particulier dans le contexte du stockage d'énergie par batteries. Avec l'augmentation croissante de la demande en matière de technologies de transition énergétique, la nécessité de batteries plus performantes, plus sûres et plus durables est devenue de plus en plus critique. Motivé par ces défis, j'ai poursuivi en doctorat dans le cadre d'un dispositif CIFRE, en collaborant avec Stellantis, l'ENS Lyon et IFPEN. Mes travaux de recherche de thèse portent sur la modélisation moléculaire de l'interphase d'électrolyte solide (SEI) dans les batteries au lithium.
Que faites-vous actuellement ?
Je suis actuellement en post-doctorat à l'École Normale Supérieure (ENS), université de Sciences et Lettres de Paris (PSL). Je travaille sur la modélisation moléculaire appliquée aux systèmes électrochimiques, et plus particulièrement sur l'effet de la solvatation au niveau de l'interface avec l'électrode. Mon objectif est de comprendre et d'optimiser les différents processus qui ont lieu au niveau de ces interfaces, afin non seulement d'améliorer les performances de différents systèmes électrochimiques, mais également de favoriser les réactions clés, comme la réduction du CO2 et du N2, qui sont essentielles à la transition énergétique.
Pouvez-vous nous donner quelques indications sur l'objectif de vos travaux de thèse et leurs applications ?
J'ai créé un modèle moléculaire qui combine des méthodes quantiques et classiques afin de simuler le développement de la couche SEI dans les batteries au lithium, qui constitue le principal mécanisme de vieillissement conduisant à la perte de capacité et à la dégradation des performances des batteries. Ce modèle offre une vue atomistique détaillée, qui permet des prévisions de performances à long terme à partir de simulations à court terme. Il s'aligne bien sur les données expérimentales, notamment en ce qui concerne la prédiction de la structure de la couche SEI et de la perte de capacité au fil du temps, et permet de réaliser en quelques jours ce qui prendrait normalement des mois/années à étudier de manière expérimentale.
Je me suis également intéressé aux difficultés posées par les études computationnelles qui visent à accélérer le développement de meilleures batteries en étudiant les effets de différentes espèces d'électrolytes, comme des solvants, des sels et des additifs. Ces effets jouent un rôle essentiel dans la conception de batteries plus efficaces et plus fiables. J'ai plus précisément évalué les performances de méthodes moléculaires à faible coût de calcul, comme les méthodes de structure électronique et les champs de forces classiques, afin de modéliser les comportements moléculaires complexes de la couche SEI. J'ai en outre exploré les difficultés auxquelles sont confrontées les nouvelles approches, comme les méthodes fondées sur l'apprentissage automatique.
Les résultats de la thèse sont très pertinents pour les systèmes de gestion de batteries (BMS) utilisés dans différents secteurs, comme les véhicules électriques, et dans les appareils tels que les ordinateurs et téléphones portables, où ils aident à gérer l'état des batteries et à améliorer leurs performances. En outre, les méthodologies et modèles développés dans le cadre de cette thèse peuvent être appliqués au-delà des batteries, car ils peuvent être adaptés à d'autres domaines qui impliquent un développement en surface, comme la corrosion et les processus d'enduction.
Pouvez-vous nous donner quelques détails sur la façon dont vous avez partagé votre temps entre l'ENS Lyon, Stellantis et IFPEN ?
J'ai passé la première partie de ma thèse à l'ENS Lyon, où je me suis concentré sur l'acquisition de connaissances fondamentales en mécanique quantique. Cela m'a permis d'acquérir le cadre théorique nécessaire à mes travaux. J'ai ensuite rejoint IFPEN à Rueil-Malmaison, où j'ai passé le reste de mon doctorat. À IFPEN, j'ai continué à explorer les approches de mécanique quantique tout en les intégrant aux méthodes classiques afin de relever les défis liés à la modélisation du développement de la couche SEI. L'objectif était de combiner des techniques quantiques et classiques pour créer des modèles plus efficaces capables de mieux simuler le comportement des batteries. Tout au long de ces trois années, je suis resté en communication permanente avec les experts en batteries de Stellantis. Ces réunions m'ont permis de partager mes avancées et de mieux comprendre les défis spécifiques auxquels est confrontée l'industrie des batteries de véhicules électriques, et, ainsi, d'aligner mes travaux sur les besoins réels de ce secteur. Cette collaboration entre IFPEN, l'ENS Lyon et Stellantis a été incroyablement enrichissante, car elle m'a permis d'appréhender ma thèse sous plusieurs angles : scientifique, technique, industriel et économique.
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