22.11.2024
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De même que ses applications énergétiques, les modes de production de l’hydrogène sont nombreux et font l’objet d’une littérature abondante. A la condition que cette production utilise de l’électricité d’origine renouvelable, l’hydrogène est présenté en outre comme un vecteur énergétique prometteur pour contribuer à l’atténuation du changement climatique [1].
Afin de soutenir l’essor de cette filière, un travail a été mené par IFPEN avec le centre de recherche en planification énergétique de l’Université Fédérale de Rio (UFRJ/COPPE) pour développer un modèle d’optimisation économique de la production d’hydrogène, soit par d’électrolyse de l’eau soit par vaporeformage du méthane, et avec ou sans capture du carbone.
HERA : un modèle pour optimiser la production de l’hydrogène et son transport
Le modèle d’optimisation HERA qui a été construit est un modèle de programmation linéaire en nombres entiers (MILP ) qui prend en compte l’intermittence de la production d’électricité renouvelable. Il a été développé avec le langage GAMS et le code d’optimisation CPLEX. Le schéma du modèle de production d’hydrogène qui a été élaboré pour conduire l’optimisation est présenté sur la figure 1. La demande d’hydrogène est satisfaite après compression et stockage par la production issue soit d’un électrolyseur soit d’une unité de vaporeformage avec ou sans capture du CO2. Un vaporeformage de l’éthanol, du biométhane ou du gaz naturel a été introduit dans la modélisation. L’électrolyseur (PEM-Proton Exchange Membrane ou Alcalin) peut être approvisionné par de l’électricité renouvelable et/ou de l’électricité venant du réseau. La fonction-objectif à minimiser est le coût de production de l’hydrogène.
Le modèle repose sur une adéquation entre offre et demande. Il cherche à répondre à une demande d’hydrogène qui est définie à un pas de temps horaire. Cet hydrogène doit être produit et transporté jusqu’au lieu d’utilisation, ce qui nécessite d’introduire des contraintes spécifiques pour satisfaire la demande, qu’il s’agisse d’un transport par pipeline ou par camion.
Du côté de l’offre, la production provient des technologies qui sont disponibles (vaporeformage du gaz ou électrolyse de l’eau) dont le choix peut être fixé ou arbitré en introduisant des variables binaires dans la modélisation. Les technologies qui sont modélisées sont présentées dans le tableau 1.
Technologies de production | Ressources |
Vaporeformage avec ou sans capture de carbone | Hydrocarbures ou alcools (tels que gaz naturel, fractions légères de pétrole, bioéthanol, etc.) |
Electrolyse (Alcaline ou PEM) | Electricité de toute origine (hydro, centrales thermiques, nucléaire, PV, éoliennes, etc.) |
Pour les électrolyseurs, comme pour les unités de vaporeformage, des valeurs sont attribuées par défaut aux paramètres de coûts fixes et de coûts variables, ceux-ci pouvant ensuite être modifiés par l’utilisateur. En ce qui concerne l’énergie renouvelable employée, un nombre d’éoliennes ou d’unités de panneaux photovoltaïques est défini par défaut et peut être optimisé.
Des batteries peuvent être introduites dans la modélisation pour stocker la production intermittente d’électricité si ceci permet de faire fonctionner les électrolyseurs au moindre coût
La logistique de transport de l’hydrogène repose sur des pipelines ou des camions citernes, le choix du mode de transport sélectionné reposant sur la minimisation des coûts. De plus, un stockage d’hydrogène a été considéré dans la modélisation pour réguler les variations de sa production issue des électrolyseurs. La modélisation du dimensionnement des infrastructures de pipeline est un problème hautement non linéaire. Le choix du pipeline est à faire parmi différents diamètres standards et permet de se ramener à un problème de modélisation en nombres entiers. Le flux de l’hydrogène compressé dans le pipeline a été modélisé en suivant les équations pour les fluides incompressibles. Ceci est recommandé pour les gaz avec une faible vitesse d’écoulement, c’est-à-dire avec un nombre de Mach inférieur à 0,2 [2, 3]. En cas de recours à des camions-citernes, on considère des coûts logistiques standards associés à ce mode de transport routier.
La pression de l’hydrogène pour le transport par pipeline ou par camion-citerne est définie par l’utilisateur, avec une valeur par défaut proposée. L’énergie nécessaire aux compresseurs utilisés pour le transport de l’hydrogène a la même origine que l’électrolyseur : électricité d’origine renouvelable (avec éventuellement les batteries) et réseau. L’eau nécessaire au fonctionnement des électrolyseurs provient d’unités de dessalement d’eau de mer.
La fonction-objectif du problème de minimisation est une fonction de coût actualisée comprenant les coûts opératoires, les frais fixes annuels et les dépenses d’investissement. Les contraintes correspondent aux bilans en énergie et en masse, aux limites de capacités et aux investissements à réaliser, à la demande à laquelle il faut répondre, aux limites d’émissions de CO2, à l’utilisation de l’électricité venant du réseau et aux ventes potentielles d’électricité venant des « unités renouvelables » vers le réseau [4,5]. Seules des variables entières sont prises en compte dans le modèle, ce qui conduit à le résoudre comme un modèle de programmation linéaire en nombres entiers. Il peut être résolu comme un modèle d’optimisation de long terme pour une année-horizon donnée ou bien en considérant plusieurs périodes correspondant à des phases d’investissement successifs.
Etude de cas : une unité de production d’hydrogène à destination de Forteleza, au Brésil
L'exemple décrit ci-après correspond à l’unité pilote d’électrolyse PEM de São Gonçalo do Amarante (Etat de Ceará, Brésil). La capacité de production est de 250 Nm3/h d’hydrogène, avec une capacité de production d’électricité photovoltaïque (PV) de 3 MW et un électrolyseur PEM. Nous considérons que la production d’hydrogène est destinée à Fortaleza, capitale de l’Etat de Ceará, distante de 63 km. On compare les résultats de l’optimisation de la production d’hydrogène entre deux situations : avec uniquement de l’électricité venant des unités « PV + batteries » ou bien en utilisant également de l’électricité venant du réseau. L’utilisation de l’électricité du réseau pour faire fonctionner l’électrolyseur pouvait être autorisée ou non.
Les résultats de l’optimisation (Tableau 2) permettent de comparer les deux solutions avec des capacités comparables de l’électrolyseur : 1,15 MW dans la solution sans électricité de réseau et 1,18 MW avec l’utilisation du réseau. Les capacités de stockage d’hydrogène qui sont nécessaires pour répondre à la demande sont nettement plus faibles (1355 kg contre 10240kg) dans le cas où on utilise l’électricité du réseau : cette obligation d’un stockage plus important résulte du recours à un ensemble « PV + batteries ». Ainsi, le coût actualisé de l’hydrogène (LCOH) apparaît significativement plus faible dans le cas avec appel au réseau : 9,33 USD/kgH2 contre 12,76 USD /kgH2 (figure 2).
Vers un outil pour l’aide à la décision
En conclusion, l’utilisation de cette approche par modélisation joue un rôle crucial pour optimiser la conception de la production d’hydrogène et soutenir les décisions des investisseurs, ainsi que celle des décideurs, en matière de planification énergétique. Ainsi, les résultats peuvent aider à connaître l’impact de différentes taxes, subventions et politiques spécifiques sur le développement des marchés de l’hydrogène, mais aussi pour soutenir le développement de la réglementation associée.
Références :
[1] International Energy Agency (2023) “Global Hydrogen Review 2023”, Global Hydrogen Review 2023. 176 p.
[2] Darbandi, M.,Schneider, G. E. (1998) “Analogy-based method for solving compressible and incompressible flows”, Journal of Thermophysics and Heat Transfer, 12(2), p. 239–247.
>> https://doi.org/10.2514/2.6327
[3] Guerra, J.,Gustafsson, B. (1986) “A numerical method for incompressible and compressible flow problems with smooth solutions”, Journal of Computational Physics, 63(2), p. 377–397.
>> https://doi.org/10.1016/0021-9991(86)90200-7
[4] Nascimento Da Silva G., Lantz F. Rochedo P., Szklow A. (2023), Hera – Hydrogen economics and infrastructures optimization, IFPEN Research paper - Cahier de l’Economie n°155, Juin 2023
>> https://ifp.hal.science/hal-04147420v1
[5] Nascimento da Silva G., Lantz F., Rochedo P., Szklo A. (2024), Developing and applying the Hydrogen Economics and infRAstructure optimization model (HERA), International Journal of Hydrogen Energy, 61, pp. 1170-1186
>> https://doi.org/10.1016/j.ijhydene.2024.02.015
Contact scientifique : Frédéric LANTZ