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Les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 (CCUS-Carbon Capture, Use and Storage) consistent à capter le CO2 dès sa source de production, à le stocker dans le sous-sol et à le valoriser. Elles intéressent les industriels car elles leur permettraient de réduire massivement leurs émissions de CO2. Mais ces solutions prometteuses doivent encore faire la preuve qu’elles peuvent être industrialisées à un coût acceptable.
 

Le ccUs : un LEVIER d'ACTION pour le climat

Les scénarios de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale mettent en avant le rôle du CCUS dans le mix énergétique.

L’Agence internationale de l’énergie estime, dans le scénario Net Zero Emission by 2050 (NZE) rendu public en 2021, que pour atteindre la neutralité carbone en 2050, 7.6 Gt de CO2 devront être captés par an à partir de 2050, soit 20 % des émissions actuelles. Un objectif intermédiaire fixe à 1.6 Gt la quantité de dioxyde de carbone qu’il sera nécessaire de capter dès 2030. Cette quantité passe à 4 Gt de CO2 en 2035, soit un facteur 100 à atteindre en moins de 15 ans.

Pour atteindre l’objectif 2 °C, d’après le scénario «développement durable» de l’AIE, plus de 100 milliards de tonnes de CO2 devraient être stockés et plusieurs milliers d’installations de CCUS déployées d’ici 2050. Aujourd’hui, une trentaine d'installations de grande taille sont opérationnelles, injectant de l’ordre de 40 millions de tonnes (Mt) de CO2 par an. 

Les industriels manifestent un intérêt pour cette technologie, indispensable pour décarboner massivement leur activité, et incontournable pour certaines d'entre elles. En 2016, 13 grandes compagnies pétrolières ont créé un fonds d’un milliard de dollars, l’Oil & Gas Climate Initiative, visant à développer des technologies de réduction des émissions de CO2 dont le CCUS considéré comme incontournable. Par ailleurs, Equinor, Shell et TotalEnergies investissent conjointement 640 millions d’euros dans le projet Northern Lights destiné à stocker à l’horizon 2024 1,5 million de tonnes de CO₂ par an sous la mer du Nord, à 2 600 mètres de profondeur. Le CO₂ liquéfié sera transporté par pipeline et par bateau.

QUELLES SOURCES D’ÉMISSIONS DE CO2 PEUVENT ÊTRE CAPTÉES, STOCKÉES ET VALORISÉES ?

Le CCUS adresse les sources industrielles pour lesquelles les émissions de CO2 sont concentrées. Le développement rapide des énergies renouvelables limite la portée du CCUS pour la production d’électricité, qui a d’ores et déjà entamé son processus de décarbonation, si l’on excepte des pays comme l’Inde ou la Chine où la capture du CO2 est incontournable pour atteindre la neutralité carbone. En revanche, la plupart des industries lourdes (sidérurgie, cimenterie, raffinage, chimie et pétrochimie) ne disposent pas à ce jour de technologies de substitution leur permettant de réduire massivement leurs émissions de CO2

Le CCUS est également en mesure de capter le CO2 directement dans l’atmosphère. 

Les défis du CCUS

Le CCUS n’est pas une technologie nouvelle : le captage et la séparation du CO2 sont mis en œuvre dans l'industrie depuis des décennies, le transport et l'injection de CO2 dans le sous-sol sont pratiqués depuis les années 1970 pour la récupération assistée du pétrole et l'industrie est consommatrice de CO2 quoiqu'en assez faible quantité. Mais dorénavant les objectifs de réduction des gaz à effet de serre nécessitent la mise en place d'une véritable industrie dédiée au CCUS, ce qui se traduira par des installations de captage de très grande taille, un développement massif des réseaux de transport, des infrastructures pour le stockage très étendues et enfin une filière industrielle considérable pour valoriser le CO2 en carburants de synthèse et autres produits à haute valeur ajoutée.

Ce déploiement à grande échelle suppose donc que soient levés de nombreux défis parmi lesquels :

  • la réduction les coûts du captage, l’étape la plus coûteuse de la filière CCUS,
  • la démonstration des capacités de stockage massif de CO2 dans les aquifères salins profonds, et la maîtrise du confinement du CO2 et de la sécurité du stockage sur de longues périodes (plusieurs centaines d'années) dans des structures géologiques de stockage.
  • la démonstration des procédés de valorisation de quantités importantes de CO2 à un coût raisonnable.

Le captage du CODANS LES EMANATIONS INDUSTRIELLES

Cette étape peut représenter jusqu’à 70 % du processus de CCUS en termes de coût et constitue un enjeu technologique et économique majeur. Trois technologies de captage du CO2 dans l’industrie sont étudiées :

  • le captage en pré-combustion consiste à décarboner le combustible avant qu’il ne soit brûlé, en le transformant en un gaz de synthèse composé d’hydrogène, d’eau et de monoxyde de carbone, puis en introduisant de la vapeur d’eau dans ce gaz de synthèse. Celui-ci réagit et le monoxyde de carbone se convertit alors en CO2, avec production additionnelle d’hydrogène. Le CO2 et l’hydrogène sont ensuite séparés grâce à un solvant. Le CO2 peut donc être capté à ce stade. L’hydrogène, utilisé seul, produit de l’énergie sans émission de CO2. Cette technologie est aujourd’hui considérée comme trop coûteuse.
     
  • le captage sur les fumées "post-combustion" consiste à récupérer le CO2 en lavant par solvant les fumées émises par la combustion. Il existe des techniques de captage de CO2 qui sont bien connues et employées dans le traitement du gaz naturel dont les concentrations en CO2 sont réglementées. Dans le cas d'un lavage des fumées résultant de la combustion, les installations sont très coûteuses et consomment des quantités importantes d'énergie. Des options innovantes de captage de CO2 dans les fumées sont à l’étude en vue de minimiser la consommation énergétique et de réduire la taille des installations et les investissements.
     
  • le captage en oxy-combustion consiste à réaliser la combustion de combustibles carbonés en présence d'oxygène pur au lieu d'air, ce qui permet d’obtenir des fumées plus concentrées en CO2 (de l'ordre de 90 %). Celui-ci est alors plus facile à séparer de la vapeur d’eau avec laquelle il est mélangé. Le principal problème est le coût de production de l’oxygène pur, obtenu en général par distillation cryogénique de l’air. Un autre moyen de production d’oxygène plus économique à partir de l’air est étudié : le Chemical Looping Combustion (CLC).
     

Le procédé de Chemical Looping Combustion (CLC)
Ce procédé est basé sur le recours aux oxydes métalliques pour réaliser une combustion en l'absence d'azote de l’air. Les particules métalliques en s’oxydant permettent le transfert de l’oxygène dans la zone de combustion, séparant ainsi l’oxygène de l’azote. Ce principe devrait permettre de réduire fortement les coûts de captage si les verrous technologiques associés sont levés.
Cette technologie est développée par IFPEN en collaboration avec Total.

Schéma du procédé du "Chemical Looping Combustion"
Schéma du procédé du "Chemical Looping Combustion"

  
Seul le captage sur les fumées en post-combustion s’applique aux installations existantes. Le CLC exige des modifications de conception des installations qui représentent des investissements financiers importants, mais qui permettent d'obtenir une pénalité énergétique très faible pour le captage du CO2.

Le captage et la séparation du CO2 sont appliqués dans l'industrie depuis des décennies.

DES EMISSIONS DE CO2 NEGATIVES ?
Il existe des procédés industriels qui génèrent du CO2 sans recourir aux énergies fossiles. Un exemple en est donné par la production d’éthanol par fermentation de la biomasse. Dans ce cas, si le CO2 produit est capté et redirigé vers un site de stockage géologique, ce CO2 issu de la biomasse ne retournera pas dans l’atmosphère: l’émission de CO2 est négative. De manière générale, les technologies qui permettent d’extraire la bioénergie de la biomasse tout en capturant et stockant le carbone, le retirant ainsi de l'atmosphère, sont désignées sous le terme de BECSC (Bioénergie avec captage et stockage du carbone) ou BECCS (Bio-energy with carbon capture and storage). En 2022, au moins cinq installations dans le monde utilisent les technologies BECSC et capturent environ 1,5 million de tonnes de CO2 par an.
 

 

LE CAPTAGE DU CO2 DANS L’ATMOSPHERE

Plutôt que de capter le CO2 dans les fumées d’usine où il est très concentré, il est également possible de le capter directement dans l’atmosphère où il est beaucoup plus dilué, ce qui entraîne un surcoût important. Il existe actuellement 15 installations de captage direct de l'air en fonctionnement dans le monde, captant plus de 9 000 tonnes de CO2 par an. Les technologies DAC (Direct Air Capture) sont de deux types. Les systèmes DAC liquides font passer l'air à travers une solution chimique, telle qu'une solution d'hydroxyde, qui élimine le CO2 tout en libérant l'air résiduel dans l'atmosphère. Les systèmes DAC solides utilisent des filtres absorbants qui se lient chimiquement au CO2. Une fois chauffés, ils restituent un CO2 concentré, qui peut être capté et ensuite stocké ou réutilisé. 
 

le transport du CO2

Le CO2 doit ensuite être acheminé, parfois sur plusieurs centaines de kilomètres, vers un lieu de stockage. Le transport du CO2 ne pose pas de problème particulier et est déjà couramment pratiqué à l’échelle industrielle aussi bien par bateau que par gazoducs. Pour les besoins de l’industrie pétrolière, on le transporte dans des gazoducs à l’état supercritique (à température ambiante et sous au-delà de 73 bars), ce qui nécessite des installations de compression et d’injection adaptées. Un réseau de 4 000 km de pipelines existe aux États-Unis. La mutualisation des infrastructures de transport dans les grandes zones industrielles, en particulier portuaires, et de collecte du CO2 sont envisagées.

Le stockage du CO2

Une fois capté et acheminé, le CO2 doit être injecté et stocké dans le sous-sol. Les aquifères salins profonds ont été identifiés comme les seules structures géologiques présentant des capacités suffisantes de stockage massif du CO2.
 

Les structures géologiques de stockage

Deux types de structure sont exploitées :
  

  • les aquifères salins profonds. Ces réservoirs d’eau salée non potable, situés à de grandes profondeurs, représentent le plus gros potentiel en matière de capacité de stockage (400 à 10 000 Gt). Ils sont mieux répartis à la surface du globe que les gisements d'hydrocarbures mais leur structure et leur capacité à piéger durablement le CO2 sont plus mal connues. Un effort important de recherche doit donc être engagé pour apprécier leur potentiel en termes de stockage géologique et leur capacité à confiner le CO2 sur le long terme.
     
  • les gisements d’hydrocarbures (pétrole et gaz) épuisés. Cette option est intéressante puisque ces structures ont constitué des pièges à hydrocarbures étanches pendant des millions d'années et que ce milieu géologique est relativement bien connu. Néanmoins, leurs capacités sont limitées, et souvent très éloignées des installations industrielles. Le CO2 devra être alors acheminé sur de longues distances. Cette solution sera sans doute la première à être mise en œuvre mais elle ne sera pas suffisante.
    Des opérations de stockage dans des gisements de pétrole sont déjà en cours dans le cadre d’expérimentations en grandeur réelle.
     

Les capacités de stockage

D’après le rapport spécial sur le captage, l’utilisation et le stockage du CO2 publié par l’AIE en 2020, la capacité mondiale de stockage de CO2 serait comprise entre 8 000 et 55 000 gigatonnes. Ainsi même le chiffre le plus bas (8 000 Gt) dépasse de très loin les 100 Gt de CO2 qui devraient être stockées d’ici 2055 dans le scénario « développement durable ».
Toujours selon l’AIE, le potentiel terrestre est plus important que le potentiel marin. En effet, la capacité de stockage terrestre est estimée entre 6 000 Gt et 42 000 Gt tandis la capacité offshore serait comprise entre 2 000 Gt et 13 000 Gt, en ne considérant que les sites situés à moins de 300 kilomètres de la côte, à des profondeurs d'eau inférieures à 300 mètres et en dehors de l'Arctique et de l'Antarctique. 
 

Durée et fiabilité du stockage

Le stockage de CO2 doit permettre de couvrir non seulement la durée pendant laquelle les combustibles fossiles resteront disponibles (un à deux siècles) mais aussi la durée du cycle océanique (environ un demi-millénaire). En effet, il faut prendre en compte le cycle du carbone qui est régi par deux échanges : l'échange entre l'atmosphère et l'océan et celui entre la biosphère et l'atmosphère. Si les échanges avec la biosphère se font sur des échelles décennales, le cycle de l'océan s'étend sur plusieurs siècles. Une stabilisation des teneurs en CO2 dans l'atmosphère impose donc de conserver le CO2 dans le sous-sol sur des durées compatibles avec le cycle océanique. Par mesure de précaution, on envisage des solutions qui permettent d'effectuer le stockage sur des périodes pouvant atteindre des milliers d'années.
 

La fiabilité du stockage sur une longue durée constitue un enjeu primordial. Cette solution doit démontrer qu'elle est un moyen efficace de lutte contre le changement climatique (temps de rétention du CO2 suffisant) et qu'elle ne cause aucun dommage à l'environnement local. Seuls les sites présentant toutes les garanties relatives à la sécurité seront choisis. Pour ce faire, il faut disposer d'outils fiables de modélisation du devenir du CO2 stocké, et de techniques de gestion et de surveillance suffisamment sensibles permettant de détecter toute remontée éventuelle de CO2 afin de mettre en place les mesures correctives. 
  

LA VALORISATION DU CO2, UNE ISSUE MEILLEURE QUE LE CAPTAGE ?

Le CO2 pourrait être valorisé comme matière première pour différentes industries (chimie, agroalimentaire, etc.) ou bien pour la récupération assistée des hydrocarbures. Il peut aussi être valorisé par voie chimique et biologique mais la plupart des procédés envisagés sont encore au stade laboratoire ou pilote. Il reste à en valider la rentabilité et le bilan environnemental en prenant en compte un certain nombre de critères : valeur de marché du CO2, volume de CO2 pouvant être traité, concentration et pureté du CO2, possibilité d'utiliser de l'énergie non émettrice de gaz à effet de serre et à bas coût pour transformer le CO2, proximité des sites émetteurs de CO2 et des sites potentiels de transformation, analyses de cycle de vie des produits transformés, etc.

La valorisation directe du CO2

Le CO2 est actuellement utilisé pour la récupération assistée des hydrocarbures (EOR -Enhanced Oil Recovery), ce qui représente moins de 50 millions de tonnes de CO2 par an, ainsi que dans diverses industries pour des applications qui nécessitent généralement un gaz quasiment pur. Cet usage industriel fait appel à des quantités limitées de CO2, tout au plus 20 millions de tonnes par an. Parmi les applications figurent le traitement des eaux, la production de boissons gazeuses, de médicaments, de fluides frigorigènes ou encore de neige carbonique pour les extincteurs. Le CO2 supercritique, état intermédiaire entre solide et liquide, intervient dans la fabrication des solvants. 

La valorisation chimique du CO2 

Le CO2 est utilisé pour produire de l’urée, un engrais azoté, ce qui représente une consommation de 100 millions de tonnes par an, ainsi que de l’acide salicylique, dont l’aspirine est un dérivé. Le CO2 peut aussi intervenir dans la fabrication de certaines matières plastiques comme les polycarbonates (verres optiques, lentilles, etc.) et les polyméthanes (caoutchoucs, mousses, etc.). Le CO2 est également mis en avant pour la minéralisation et la carbonatation, ce qui permet de durcir le béton.
Un autre usage émergent est la fabrication de produits à valeur énergétique et en particulier de carburants synthétiques (e-fuels), obtenus en combinant du CO2 avec de l’hydrogène issu d’électricité renouvelable par électrolyse de l'eau ou plus généralement décarbonée. Les termes anglais Power to Fuel, Power to Gas et Power to Liquid servent à désigner les procédés mis en œuvre pour transformer les surplus d’électricité issue d’énergies renouvelables intermittentes (éolien et solaire) en carburants synthétiques gazeux ou liquides. La liste est longue et comprend de nombreux intermédiaires, depuis l'hydrogène vert ou renouvelable, le méthane de synthèse, jusqu’à l'ammoniac synthétique, en passant par le e-methanol, le e-kerosene et l’e-diesel, etc. Si le CO2 utilisé est produit à partir de la biomasse, on obtient alors un e-biofuel, un biocarburant avancé.
Le méthane de synthèse (obtenu par le procédé dit de méthanation du CO2 ou réaction de Sabatier ou encore hydrogénation du CO2 en méthane) pourrait être injecté dans les réseaux de gaz naturel existants. Malheureusement la rentabilité économique de la filière n’est pas encore atteinte.

La valorisation biologique du CO2

Le CO2 peut être valorisé de manière biologique par photosynthèse via la culture de micro-algues qui peuvent se développer en consommant de grandes quantités de CO2. Ces micro-algues fournissent aujourd’hui de manière rentable des pigments et des oméga 3 et pourraient dans l’avenir produire des molécules à haute valeur ajoutée à destination de la chimie de spécialités, des industries cosmétique, pharmaceutique et d’alimentation animale. La production de biocarburants par cette voie biologique à partir de micro-algues est même envisageable à plus longue échéance.

Les voies chimiques et biologiques de valorisation sont à l’heure actuelle encore au stade laboratoire ou pilote.

De nombreux acteurs industriels s’intéressent à la valorisation du CO2 et étudient différentes filières : voies de minéralisation (Skyonic, Calera, etc.), production de polycarbonates (Bayer, Novomer, etc.), méthanol via l’hydrogénation directe (Carbon Recycling International, Mitsui Chemicals Inc., etc.). Si l'utilisation du CO2 peut trouver à l'avenir un intérêt économique, on peut s’interroger sur son efficacité d'un point de vue du bénéfice climatique. En effet, sauf à minéraliser le CO2, les produits issus de la transformation du CO2 ne le stockent que de façon temporaire avant de le restituer à l'atmosphère. Certains de ces produits ont néanmoins un effet bénéfique mais limité, lié à la substitution d'un produit utilisant du carbone fossile. Encore faut-il que le CO2 utilisé soit d'origine biologique, et donc déjà neutre du point de vue climatique.

Selon les estimations de l’AIE, la valorisation du CO2 ne représente que 8 % du potentiel de réduction attribué au CCUS sur la période 2020-2070.

>> Pour en savoir plus, lire l'article The Conversation : La capture et le stockage du CCUS, comment ça marche ?

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Captage stockage utilisation du CO2 CCUS


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