Les sols stockent du carbone sous la forme de matière organique et le rejettent à l’état gazeux notamment sous la forme de CO2, dans l’atmosphère. Quand ils en piègent plus qu’ils n’en émettent, on parle de « puits de carbone ». Les sols peuvent donc jouer un rôle dans les stratégies d’atténuation du changement climatique. L’Europe, la France en tête avec le label Bas-carbone, encourage les pratiques agricoles et forestières favorisant le stockage de carbone dans les sols.
Les sols, importants réservoirs de carbone
Qu'est-ce qu'un puits de carbone ?
Comment stocker le carbone dans les sols ?
Evaluer et suivre le carbone dans les sols
Les sols, importantS réservoirS de carbone de la terre
A l’échelle mondiale, 5 milliards de tonnes de carbone s’ajoutent chaque année aux 800 milliards de tonnes de carbone de l’atmosphère.
Le rapport du GIEC pointe la nécessité de la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre. Aux côtés des énergies renouvelables et des technologies moins énergivores figurent d’autres solutions pour réduire les quantités de CO2 de l’atmosphère : la reforestation, le stockage de carbone dans des matériaux à longue durée de vie, le stockage du CO2 dans des réservoirs géologiques ou encore le stockage du carbone dans les sols.
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Les études les plus récentes estiment à 1 500 milliards de tonnes les réserves mondiales de carbone contenu dans le premier mètre des sols. Ces chiffres font des sols le réservoir de carbone le plus important de la planète, après l’hydrosphère (océans, mers, lacs, rivières). C’est 2 fois la quantité de carbone contenue dans l’atmosphère et 3 fois celle contenue dans la végétation.
Sols, carbone et matière organique, de quoi parle-t-on exactement ?
Les sols se composent de matière minérale (débris de roches, tels que limon, sable, et argile) et de matière organique (MO), définie comme « tout ce qui est vivant ou a été vivant ». Cette matière organique est elle-même composée à 50 % de carbone.
Qu’est-ce qu’un puits de carbone ?
La variation de stock de la matière organique des sols dépend de deux types de flux :
- les entrées dans le sol sous forme « fraîche », composée de litière avec des feuilles, brindilles, racines mortes, micro-organismes morts, résidus de cultures, fertilisation organique, etc.
- les sorties sous forme gazeuse : décomposée et minéralisée par des organismes décomposeurs (champignons, bactéries, vers de terre, etc.), la MO est transformée en molécules de gaz (CO2, N20 et CH4) et relâchée dans l’atmosphère.
Les sols constituent ainsi une épée à double tranchant : d’un côté, ils sont capables de stocker du carbone, donc ils constituent un levier fondamental à intégrer dans les stratégies d’atténuation du changement climatique, et de l’autre, ils peuvent être source d’émissions de gaz à effet de serre (du CO2, mais également du méthane - CH4 - dans certains cas), car le changement climatique et la hausse des températures ont tendance à accroitre la décomposition de la matière organique des sols et donc le rejet de carbone dans l’atmosphère.
Une étude menée par une équipe pluridisciplinaire IFPEN et coordonnée par l’université de Leeds et publiée dans la revue Nature a fait le lien entre le réchauffement climatique et la décomposition de la tourbe dans le bassin central du Congo entre 5 000 et 2 000 ans av.JC, provoquant un important rejet de carbone dans l’atmosphère.
L’une des conclusions de l’étude affirme que si un scénario identique se reproduisait dans le futur, une telle libération de carbone ne pourrait qu’accélérer encore davantage le changement climatique en cours.
>> Voir l'étude
On parle de « puits de carbone » quand les sols piègent davantage de CO2 qu’ils n’en émettent. Les végétaux, certains écosystèmes aquatiques, les sous-sols ou encore des matériaux à longue durée de vie peuvent également jouer le rôle de puits de carbone.
Comment stocker le carbone dans les sols ?
Si le stockage de carbone se déroule à peu près à la même vitesse que sa dégradation dans les savanes ou les forêts tropicales, ce n’est pas le cas pour les agroécosystèmes où cet équilibre est menacé par les activités humaines.
Le changement d’affectation des sols (mise en culture d’une prairie ou artificialisation), la modification des modes de production, la perte de terres cultivables ou boisées au profit de l’urbanisation ou encore des prélèvements excessifs et non raisonnés de biomasse peuvent affecter la qualité des sols et dégrader les stocks en carbone.
En chiffres
Aujourd’hui, 25 % des sols de la planète sont fortement dégradés (41 % pour les sols cultivés) auxquels s’ajoutent chaque année 12 millions d’hectares supplémentaires (source : OPECST).
Il est donc impératif de mettre en place une gestion judicieuse des sols, d’une part pour accroître leurs capacités de puits de carbone, et d’autre part pour en préserver et restaurer la qualité en vue d’une agriculture durable.
Au-delà du climat… des enjeux de biodiversité et de sécurité alimentaire
La teneur des sols en matière organique (MO) est au cœur d’enjeux agronomiques et environnementaux puisqu’elle détermine :
- La qualité des sols, dont dépendent la sécurité alimentaire et la santé de la population ;
- La structure du sol, dont dépendent le phénomène d’érosion et la rétention d’eau ;
- Et la biodiversité des sols, dont dépendent les écosystèmes et la résilience du sol.
Les agriculteurs, premiers gestionnaires du carbone dans les sols
En faisant en sorte d’accroitre le stock de MO dans les sols ou de freiner les pertes, les pratiques de gestion des sols agricoles ont un impact considérable sur les stocks de carbone.
L’agriculture de conservation, officiellement définie par la FAO (Food and Agriculture Organization) en 2001, place le sol au cœur du système de production et repose sur trois grands principes :
- La couverture maximale des sols, faite de résidus de culture ou de couverts semés,
- Le placement direct des semences et/ou des engrais sans travail du sol,
- La diversification des espèces cultivées par des séquences de cultures variées et des associations impliquant au moins trois cultures différentes
Les agriculteurs sont les premiers gestionnaires de la MO dans le sol en favorisant l’apport de MO notamment grâce à une agriculture de conservation et des rendus au sol. Ces derniers correspondent à des pratiques de valorisation de co-produits ou déchets issus de différentes filières de valorisation de la biomasse (agriculture, élevage, biomatériaux, énergie) pour fertiliser et enrichir les sols.
Ne pas les oublier : les sols forestiers
Les sols forestiers sont à surveiller également : de nombreuses pistes de pratiques stockantes peuvent y être déployées (sylviculture régulière à couvert continu, balivage, minimisation du travail du sol, gestion des menus bois, déploiement des essences résilientes résistantes à la sècheresse, etc.). Par ailleurs l’augmentation prévisible des besoins en bois pour la production d’énergie ou de matériaux dans les prochaines années risque d’intensifier la récolte forestière. L’impact de cette intensification sur les stocks de carbone des sols est mal connu.
Evaluer et suivre LE carbone dans les sols
De manière générale, l’évolution du sol et son impact sur la matière organique sont complexes et mal connus. Tourbières, sols forestiers, sols agricoles, ou encore sols dégradés, artificialisés, voire imperméabilisés, etc., la quantité maximale de MO que peut contenir un sol ainsi que la vitesse de décomposition de celle-ci peuvent varier fortement d’un écosystème à un autre.
La réduction de cette incertitude, indispensable pour une meilleure gestion du sol, repose sur l’amélioration des connaissances scientifiques dans le domaine. Issus de travaux de recherche nationaux, des protocoles d’analyse du sol permettent désormais de quantifier et de caractériser précisément la MO des sols au moyen de plusieurs indicateurs.
>> En savoir plus sur l'expertise du Carnot IFPEN Ressources Energétiques en matière de caractérisation des sols
De l’initiative 4 pour 1000 au label Bas-carbone : la France en première ligne
En matière de sols, la France compte parmi les pays les plus volontaristes. Elle a porté l’initiative « 4 ‰ sur les sols pour la sécurité alimentaire et le climat » lors de la COP21 en 2015 pour mobiliser la communauté internationale autour des enjeux du sol.
4 pour 1000 : un calcul simple
L’ensemble des émissions annuelles de CO2 dues aux activités humaines représente actuellement quatre millièmes du stock de carbone (C) des sols de la planète. Autrement dit, augmenter chaque année la matière organique des sols agricoles de 4 g pour 1000 g de CO2 revient à compenser l’ensemble de ces émissions.
Pour freiner l’artificialisation des terres, le plan biodiversité porte par ailleurs un objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) depuis 2018, qui vise à modifier les règles d’urbanisme pour favoriser le renouvellement urbain et la densification de l’habitat, ainsi qu’à renaturer les espaces artificialisés laissés à l’abandon (friches industrielles et commerciales).
L’équivalent du Luxembourg artificialisé ?
Si rien n’est fait, ce sont 280 000 hectares d'espaces naturels supplémentaires qui seront artificialisés d’ici 2030, soit un peu plus que la superficie du Luxembourg
Enfin, en 2019, elle a lancé le label Bas-carbone dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) : un outil de certification de projets de compensation carbone de l’État français qui s’applique à différents secteurs dont l’agriculture.
Son objectif : encourager le développement de projets bas-carbone permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’augmenter le stockage du carbone dans les sols.
Son fonctionnement ? Après la collecte de données sur la parcelle concernée, des modèles de simulation dressent un bilan carbone qui évalue le maintien et le stockage supplémentaire de carbone dans les sols associés aux différents leviers mis en œuvre pour augmenter les entrées de carbone : biomasse restituée par les couverts végétaux, résidus de culture, insertion ou allongement des prairies temporaires et artificielles dans les rotations, etc.
À l’issue du diagnostic, le label Bas-carbone confère des crédits carbone aux porteurs du projet de compensation carbone, crédits ensuite revendus sur le marché carbone aux collectivités, aux entreprises ou aux citoyens désireux de compenser leurs émissions résiduelles.
À retenir
Les sols sont les réservoirs de carbone parmi les plus importants de la planète après l’hydrosphère. Ils contiennent 2 fois le montant de carbone contenu dans l’atmosphère et 3 fois celui contenu dans la végétation.
Une stratégie d’atténuation du changement climatique appliquée aux sols requiert une gestion judicieuse des sols afin de préserver et développer leurs capacités de puits de carbone.
Les agriculteurs sont les premiers gestionnaires de la MO dans les sols : les praticoles agricoles peuvent accroître le stock de MO dans les sols ou en freiner les pertes.
Actuellement, les scientifiques travaillent à mieux connaître la dynamique des sols et son impact sur la matière organique au sein de différents écosystèmes en fonction des usages et pratiques. Réduire l’incertitude sur les mécanismes complexes et d'origines multiples de la décomposition de la MO est la condition sine qua non d’une gestion plus éclairée des sols, d’une part pour en préserver ou restaurer la qualité en vue d’une agriculture durable, et d’autre part pour accroître leurs capacités de puits de carbone.
Si les enjeux du sol pour le climat sont inscrits dès 1997 dans le protocole de Kyoto, une directive-cadre européenne sur la protection des sols attend encore d’être adoptée à l’échelle de l’Europe.
Avec le lancement de l’initiative « 4 pour 1000 » et la création d’un label bas-carbone permettant de valoriser les pratiques agricoles vertueuses sur le marché du carbone, la France est pionnière en la matière.