03.05.2022

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En collaboration avec l’université de Clermont-Auvergne, IFPEN a développé un outil de prédiction de performance et d’extrapolation des fermenteurs aérés qui sont utilisés dans le cadre de la production de carburants biosourcés. Cet outil basé sur la mécanique des fluides numérique permet de coupler l’hydrodynamique, la rhéologie, le transfert de matière ainsi qu’un métabolisme simplifié des microorganismes. 


Production de biocarburants : un enjeu majeur de la transition énergétique

En tant qu’alternative aux carburants fossiles, l'éthanol issu de la biomasse lignocellulosique permet la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sans concurrence avec l’agriculture à vocation alimentaire. Afin de limiter le coût de fabrication de ce biocarburant élaboré par voie enzymatique, un important levier à disposition est l'optimisation de la production des enzymes par culture fermentaire de champignons filamenteux.

Or, l'un des principaux défis associés à cette étape est l’extrapolation des fermenteurs depuis l’échelle du laboratoire, où sont conduits des tests, jusqu’à celle de la production industrielle. L’apport d’oxygène et de substrats aux microorganismes doit en effet rester optimal pour maximiser la productivité en enzymes, une tâche rendue complexe par la rhéologie non newtonienne du milieu fermentaire (qui dégrade les fonctions de transfert et de mélange) et par la sensibilité des champignons au cisaillement généré par l’agitation mécanique.  


Développement de méthodes expérimentales pour construire une base de données fiable

La surface d’échange entre le gaz et le liquide jouant un rôle essentiel dans l’apport d’oxygène aux microorganismes, la prédiction des tailles et densités de bulles dans les fermenteurs est un enjeu important.

Les tailles de bulles présentes dans divers milieux (filtrats fermentaires, milieux modèles) ont été caractérisées à l’aide d’une technique de sonde optique développée à IFPEN lors de travaux antérieurs [1], mais jamais appliquée encore aux milieux non-newtoniens [2]. Ces mesures inédites ont été complétées par la détermination du coefficient de transfert gaz/liquide (kLa) dans chacun des systèmes étudiés, et la combinaison des différents résultats a permis de développer un modèle de coefficient de transfert (kL) robuste qui intègre l’impact de la rhéologie et du cisaillement.

Par ailleurs, des caractérisations hydrodynamiques de type Temps de mélange (par colorimétrie et traitement d’image) et Vélocimétrie (par tube de Pavlov)* ont été menées dans les mêmes milieux visqueux aérés pour bâtir une banque de données de validation des modèles numériques.

Mélange dans l'eau
Figure 1 : Illustration du mécanisme de mélange dans l’eau, à plusieurs instants (images photographiques), depuis le moment de l’injection (a) jusqu’au temps de mélange complet (d) 

  * Instrument permettant de déterminer la vitesse d’un fluide, y compris en diphasique, à partir d’une mesure de différence de pression


Mise en place de méthodes numériques prédictives

A des fins de simulation numérique, un modèle a été développé sur la base d’une approche diphasique eulérienne [3] et d’une description moyennée des champs de vitesse**. Ce modèle intègre également les phénomènes de transfert d’oxygène et le métabolisme de consommation des différents substrats.

Il permet de prédire à toutes les échelles (laboratoire, pilote, industrielle) les champs de concentrations en sucre et en oxygène dissous, ainsi que la productivité globale en protéines (enzymes) associée. Il fournit en outre une répartition de la productivité locale en enzymes, telle qu’elle est illustrée sur la figure 2 ci-dessous pour deux fermenteurs de tailles très distinctes.

Ces calculs ont également mis en évidence une augmentation des hétérogénéités de métabolisme avec l’extrapolation dimensionnelle, causées par les hétérogénéités de substrats d’une zone à l’autre. Il en résulte ainsi des comportements de microorganismes potentiellement distincts entre le haut et le bas des fermenteurs.

productivité enzymes
Figure 2 : Champs de productivité des protéines (enzymes) normalisée dans deux fermenteurs de 20L et 100m3, et distributions de productivité associées

** Approche dite RANS : Reynolds Averaged Navier-Stokes equations 


Vers une meilleure prise en compte de la variabilité des substrats

Cependant, le modèle métabolique employé ne prend pas en compte la sensibilité du microorganisme aux variations temporelles et géométriques de composition du substrat. Pour affiner les prédictions de productivité dans des fermenteurs de grande taille, il convient donc d’évaluer la capacité du modèle à s’adapter à de telles fluctuations.

Des essais visant à mieux caractériser ce comportement du microorganisme sont actuellement menés en parallèle dans des fermenteurs bizones, selon une approche dite « scale-down »***.

Enfin, le modèle sera utilisé prochainement pour valider des technologies d’agitation et des modes d’injection des substrats qui visent à assurer le niveau requis d’homogénéité de ces derniers pour maintenir la productivité des fermenteurs industriels au niveau optimal.

*** Thèse en cours de T. Goncalves Roque (IFPEN/AgroParisTech) 

 


Références: 

[1] Maximiano Raimundo P., Analyse et modélisation de l'hydrodynamique locale dans les colonnes à bulles, Thèse de doctorat, Université de Grenoble, 2015.
[2] Cappello, V., Plais C., Vial, C., Augier, F. (2020). Bubble size and liquid-side mass transfer coefficient measurements in aerated stirred tank reactors with non-newtonian liquids. Chemical Engineering Science, 211, 115280. DOI:10.1016/j.ces.2019.115280.
[3] Cappello V., Plais C., Vial C., Augier F., Scale-up of aerated bioreactors: CFD validation and application to the enzyme production by Trichoderma reesei. Chemical Engineering Science, 229 (2021), 116033. DOI:10.1016/j.ces.2020.116033.
 

Contacts scientifiques : Frédéric Augier, Cécile Plais