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Les tourbières n’occupent que 3 % de la surface terrestre mais abritent plus de 25 % du carbone organique stocké dans les couches superficielles du sous-sol. Les débris végétaux s’y accumulent lentement et y subissent une décomposition ralentie sous l’effet d’un environnement saturé en eau et appauvri en oxygène. Les tourbes y sont donc encore décomposables et particulièrement vulnérables aux changements environnementaux. Ainsi, l’exposition de ces stocks de carbone organique aux effets du changement climatique (hausse des températures, sécheresse, incendies) et aux activités humaines (drainage et destruction des zones humides) peut conduire à la libération d’importantes quantités de gaz à effet de serre.

Pour mieux comprendre et caractériser ces phénomènes de stockage/déstockage du carbone, une équipe internationale s’est récemment intéressée aux tourbières de la Cuvette Centrale du Bassin du Congo1 (figure 1.a). Les chercheurs du CEREGE et de MARUM ont réussi à reconstituer l’évolution de l’environnement et du climat régional au cours des 22000 dernières années grâce à l’étude des biomarqueurs (figure 1.b).

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Figure 1 : Tourbières du Bassin Central du Congo [1] :
a) Carte de la Cuvette Centrale montrant la distribution spatiale de la forêt marécageuse et la localisation des carottes de tourbe ;
b) Chronologies radiocarbone des carottes de tourbe étudiées.
La rupture dans les profils âge-profondeur modélisés, mise en évidence par une bande marron horizontale, indique l'intervalle de décomposition des tourbes. Les lignes en pointillés montrent les corrélations stratigraphiques.

Par ailleurs, les chercheurs d’IFPEN, de l’UNIL2 et du British Geological Survey ont mesuré le degré de décomposition des tourbes grâce à des analyses Rock-Eval®. L’étude globale, publiée par la revue Nature [1], a notamment montré qu’entre 5000 et 2000 ans avant notre ère, la région a connu une sécheresse responsable de la décomposition de plusieurs mètres de tourbes, laquelle a nécessairement provoqué l’émission d’une très importante quantité de gaz à effet de serre.

Si les conditions hydroclimatiques permettant la formation des tourbes se sont progressivement rétablies il y a près de 2000 ans, cette étude a montré que ces tourbières restaient très vulnérables aux changements hydroclimatiques. De tels changements, comme une faible modification de la pluviométrie et/ou de la saisonnalité, pourraient de nouveau provoquer la libération d’une quantité de dioxyde de carbone équivalente à trois années d’émissions mondiales actuelles.

Afin d’éviter des flux de gaz à effet de serre vers l’atmosphère, sous l’effet d’une nouvelle phase de dégradation de ces tourbières, il faut alors disposer d’outils pour prévoir l’effet des changements environnementaux (climat, impact anthropique) sur le bilan hydrologique régional. En effet, les tourbières topogènes3, comme celle étudiée, sont principalement contrôlées par la quantité et la répartition des précipitations dans le bassin versant. Aussi, afin de comprendre leur formation et leur dynamique temporelle, il est nécessaire de décrire l’évolution hydrologique en surface et dans la nappe en chaque point de ce bassin.

Pour ce faire, une modélisation hydrologique-stratigraphique a été réalisée dans le cadre du projet VULCARFATE [2, 3]. A partir de la carte de topographie du Congo (figure 2a) et des données climatiques, les écoulements d’eau de surface et de subsurface (figure 2b) ont été déterminés à l’aide du logiciel DionisosFlow®. Cette modélisation a ensuite été couplée à des lois de transport des sédiments afin de déterminer la localisation de certains environnements sédimentaires (figure 2c).

Concernant les tourbières, on dispose ainsi d’un outil pour anticiper l’effet du changement climatique et de l’impact anthropique sur leurs stocks de carbone, ce qui pourra permettre de mieux gérer leur vulnérabilité.     

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Figure 2 : Modélisation hydrologique et stratigraphique de la cuvette centrale du Congo à l’aide de DionisosFlow®.
a) carte de topographie actuelle ;
b) simulation du débit d’eau en surface ;
c) simulation de la répartition des différents types de forêts marécageuses et de tourbes.

  

1- S’étendant sur 16,7 millions d’hectares et représentant 28 % du carbone des tourbières tropicales.
2- Université de Lausanne.
3- Tourbière où l'eau est piégée dans des dépressions, des cuvettes.
   


Références :

  1. Garcin, Y., Schefuß, E., Dargie, G.C., Hawthorne, D., Lawson, I.T., Sebag, D. et al. Hydroclimatic vulnerability of peat carbon in the central Congo Basin. Nature 612, 277–282 (2022).
    >> https://doi.org/10.1038/s41586-022-05389-3
       

  2. Chauveau, B., Granjeon, D., Sebag, D., Bemer, E., Frappart, F., Braun, J-J., Bogning, S. Le bassin de l'Ogooué : Devenir des sols et du carbone associé sous contraintes climatiques et anthropiques. Journées de Modélisation des Surfaces Continentales, Grenoble, 6-7 octobre 2022.
       

  3. Impact des changements globaux sur les réservoirs vulnérables de carbone : piégeage et émissions de carbone dans les sols et les eaux de l'Arctique à l'Equateur : projet interdisciplinaire, coordonné par l’IRD et regroupant des partenaires de 6 pays (France, USA, Russie, Gabon, Espagne et Suisse).
    >> https://vulcar-fate.obs-mip.fr 
          

Contacts scientifiques : david.sebag@ifpen.fr ; Didier Granjeon ; elisabeth.bemer@ifpen.fr

>> NUMÉRO 51 DE SCIENCE@IFPEN
 

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