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Les lignes d’ancrage sont des éléments essentiels pour la stabilité des structures flottantes en mer, comme celles supportant des éoliennes. Elles sont le plus souvent constituées de câbles en acier reliés par une chaîne à la plateforme (aussi appelée « flotteur »). De nouvelles solutions sont étudiées, dans lesquelles le câble est directement connecté au flotteur, permettant ainsi d’éliminer la chaîne qui s’avère être un point faible mécanique, et de simplifier cette liaison. Mais, dans de telles configurations, le câble subit un chargement combiné de tension et de flexion cycliques, pour lequel il n’a pas été conçu. En effet, ces câbles d’ancrage, mono-toron1, sont optimisés pour une utilisation en tension uniquement.

Plutôt que de réaliser des essais de fatigue représentatifs2, coûteux et difficiles à interpréter, IFPEN a adopté une approche recourant à de la simulation numérique multi-échelle. Au travers de celle-ci, une modélisation fine du câble permet de calculer les chargements locaux des fils métalliques à partir des chargements globaux - tension et flexion- à l’échelle du flotteur [1, 2]. Ces chargements calculés peuvent être alors reproduits en laboratoire sur un banc d’essai apte à tester de nombreuses configurations3

Il s’avère que la tension et la flexion cycliques du câble génèrent du fretting fatigue4 au niveau des fils, phénomène absent dans le cas de la tension cyclique seule, pour laquelle l’endommagement par frottement est négligeable. Sous ce mode de chargement combiné, la sollicitation locale la plus critique est le glissement partiel, caractérisé par le fait que le centre du contact reste collé tandis que sa périphérie glisse (Figure 1).

Figure 1
Figure 1 : Schéma d’une sollicitation en fretting avec les deux régimes de glissement possibles : glissement partiel à gauche et glissement total à droite.

Cependant, dans un câble d’ancrage en mer, les fils ne sont pas nus car ils sont protégés de la corrosion par un revêtement de zinc5 et par de la graisse, à quoi s’ajoute une gaine polymère étanche autour du câble. Les essais de fretting fatigue ont permis de mieux comprendre l’effet mécanique de ces protections. Ils ont été réalisés, soit avec une seule des protections (zinc ou graisse), soit avec les deux.

Prises individuellement, la galvanisation et la graisse n’ont pas d’effet notable [3]. La couche de zinc est rapidement éliminée du contact par usure et la graisse, épaisse pour ne pas couler le long du câble, mais rapidement chassée du contact, voit son pouvoir lubrifiant limité au cas d’un glissement total.

Pourtant, prises ensemble, les deux protections améliorent nettement le comportement en fretting fatigue des fils [4]. L’élimination du zinc au niveau du contact (Figure 2) produit en effet une cuvette qui limite l’évacuation de la graisse et améliore son pouvoir lubrifiant, même en glissement partiel.

Figure 2
Figure 2 : Essai de fretting simple interrompu sur fils zingués, a) vue optique de la trace, b) vue EDX de la trace (affichage de l’oxygène, du zinc et du fer), c, d) vues optique de la coupe axiale.

Cette synergie imprévue est bénéfique à la tenue en service des matériaux métalliques soumis à du fretting fatigue, ainsi que le démontrent nos résultats expérimentaux (Figure 3). 

Figure 3
Figure 3 : Courbes de fretting fatigue pour le contact sec entre fils acier (noir) et le contact graissé entre fils galvanisés (vert). Chargement en fatigue et force de contact constantes. Glissement relatif entre les fils en abscisse et durée de vie en ordonnée. La combinaison du zinc et de la graisse améliore notablement la durée de vie. ZGP : zone critique d’endommagement en glissement partiel

Le couplage de la simulation numérique avec des essais mécaniques représentatifs du chargement local des fils a permis de reproduire, pour mieux les comprendre, des mécanismes en jeu à une échelle fine. Cette compréhension de l’endommagement en fretting fatigue et de la synergie favorable entre des éléments de protection non destinés à ce problème ouvre de nouvelles perspectives pour améliorer la conception et l’utilisation des câbles d’ancrage en acier pour les supports flottants en milieu marin.

 

1- Un toron est un assemblage de brins métalliques (ou textiles) enroulés en hélice autour d'un axe longitudinal. Un câble peut être constitué de un ou plusieurs torons.
2- Reproduisant la configuration réelle à pleine échelle.
3- Montage situé au Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes (Ecole Centrale de Lyon).
4- Phénomène d'initiation et de propagation des fissures dû à une combinaison de fatigue et de frottement.
5- Protection galvanique.
  

Thèse de Sébastien Montalvo : Étude de l’endommagement par fretting-fatigue de fils de câbles d’ancrage offshore : influence de la galvanisation, de la graisse et de l’eau de mer  soutenue le 8 novembre 2023.
   


Références :

  1. F. Bussolati, M. Guiton, P.-A. Guidault, O. Allix, and P. Wriggers: Lecture Notes in Application and Computational Mechanics, vol. 93 (2019)
      

  2. S. Montalvo, S. Fouvry, M. Martinez, A hybrid analytical-FEM 3D approach including wear effects to simulate fretting fatigue endurance: Application to steel wires in crossed contact, Tribology International 187 (2023) 108713
    >> https://doi.org/10.1016/j.triboint.2023.108713 
      

  3. S. Montalvo, S. Fouvry, M. Martinez, Effect of zinc coating on the fretting fatigue endurance of crossed steel wires, submitted to Wear in December 2023, submitted to Wear in December 2023
      

  4. S. Montalvo, M. Martinez, S. Fouvry, Effect of zinc coating and grease on the fretting fatigue life of steel wires used in spiral steel ropes, OIPEEC Conference, Lake Garda, Italy, 2024
        

Contact scientifique : michael.martinez@ifpen.fr

>> NUMÉRO 54 DE SCIENCE@IFPEN