10.02.2023

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La limitation de vitesse en milieu urbain est une des solutions qui s’offrent aux métropoles pour fluidifier le trafic, réduire la pollution de l’air, limiter le bruit et améliorer la sécurité routière. La perspective de bénéfices additionnels par l’adaptation en temps réel de cette limitation,  en fonction de la densité du trafic, a conduit une équipe IFPEN a évaluer cette approche dans le cadre d’un travail de thèse.  Ensuite, un outil de régulation a été conçu afin d’adapter en temps réel les limitations de vitesse dans une ville. L’intérêt de cette approche a enfin été évalué et comparé à d’autres méthodes dans un cas d’étude représentatif. 

Se déplacer dans les métropoles : de multiples enjeux pour les décideurs

Lorsqu’il est question de modifier les infrastructures de transport ou d’agir sur les usages de mobilité, les métropoles sont confrontées à diverses problématiques : sécurité routière, qualité de l’air, fluidité du trafic, nuisances sonores, etc. 
Porté par les enjeux environnementaux et de sobriété, l’intérêt pour l’efficacité énergétique des véhicules et leurs émissions va grandissant. Des changements de comportements ou d’usages peuvent s’avérer nécessaires, comme les évolutions liées aux limitations de vitesse pour réduire la congestion du trafic et la pollution atmosphérique associée.
Il est alors primordial d’en évaluer l’impact comparé à d’autres mesures afin de communiquer sur des bénéfices concrets et d’envisager une meilleure appropriation par les usagers.
Une équipe IFPEN a travaillé sur ce sujet dans le cadre d’une thèse en collaboration avec le Gipsa-lab1, et a développé un outil dynamique de régulation des limitations de vitesses par zone. L’outil en question est basé sur une prédiction des conditions de trafic.

1 Le laboratoire GIPSA-lab, Grenoble Images Parole Signal Automatique, est une unité mixte du CNRS, de Grenoble-INP et de l'Universi-té de Grenoble-Alpes, qui mène des recherches sur les signaux et les systèmes.

Des limitations de vitesse adaptées pour limiter la surconsommation en fonction de la densité du trafic

Une première étape de l’étude a consisté à établir l’effet de la congestion du trafic en termes de surconsommation de carburant pour différentes limitations de vitesse, en couplant :
-    un simulateur de trafic pour reproduire la dynamique de véhicules sous différents niveaux de congestion ;
-    et un modèle développé par IFPEN pour estimer avec une grande précision la consommation et les émissions polluantes d’un véhicule en fonction des technologies de son groupe motopropulseur, des conditions et du style de conduite, de la topographie du réseau, etc.
La Figure 1 reproduit la consommation moyenne des véhicules en régime stationnaire pour différentes densités de trafic, avec des limitations de vitesse de 20 km/h et 50 km/h. 
Lorsque la densité du trafic est faible, il apparaît qu’une limitation de vitesse de 50 km/h est plus efficace énergétiquement en raison du régime du moteur plus favorable tant que la circulation reste fluide. A l’inverse, au-delà d’une certaine densité, une limitation de 20 km/h devient moins énergivore. Cela s’explique par le fait que l’apparition du phénomène d’« accordéon » est retardée, et que les accélérations associées, grandement responsables de la surconsommation, sont d’intensité plus faible.

Consommation de carburant moyenne en fonction de la densité pour différentes limitations de vitesse.
Figure 1: Consommation de carburant moyenne en fonction de la densité pour différentes limitations de vitesse

Anticiper les conditions de trafic pour mieux réguler les limitations de vitesse

À la suite de ces observations, un régulateur a été imaginé afin d’adapter en temps réel les limitations de vitesse d’une zone urbaine [1] [2]. 
Cet outil, représenté par la Figure 2, est constitué de modèles prédictifs basés sur la demande de trafic, c’est-à-dire l’ensemble des véhicules et de leurs itinéraires.

Schéma-bloc de l’approche de gestion écologique du trafic routier en milieu urbain.
Figure 2: Schéma-bloc de l’approche de gestion écologique du trafic routier en milieu urbain.

Ces modèles permettent d’estimer d’une part l’évolution du trafic (modèle basé sur la mécanique des fluides) et d’autre part celle de la consommation de carburant associée (modèle basé sur des algorithmes d’Intelligence Artificielle). Afin d’évaluer ses performances, le régulateur a été couplé avec un simulateur de trafic. Ceci a permis de faire varier la dynamique du trafic et d’établir un score quant à la consommation, aux émissions, et au temps de parcours moyen des véhicules pris en compte dans la simulation.

Mise en œuvre du régulateur dans un cas d’étude

Un cas d’étude concret de l’impact de la régulation des limitations de vitesse est représenté à la Figure 3 : il concerne un réseau routier d’environ 28 km, constitué d’une zone urbaine et d’une zone péri-urbaine.
 

Réseau routier constitué d’une zone urbaine et d’une zone péri-urbaine.
Figure 3: Réseau routier constitué d’une zone urbaine et d’une zone péri-urbaine

Dans cet exemple pédagogique, des véhicules sont initialement présents dans le réseau et d’autres apparaissent au cours de la simulation : l’emplacement de ces derniers est représenté soit par des points rouges, lorsque les véhicules sont issus de la zone urbaine (endogènes) soit par des points noirs lorsqu’ils viennent de l’extérieur (exogènes). Tous les véhicules transitent dans le réseau routier jusqu’à atteindre leurs destinations respectives (représentées par les cercles noirs). Des « clusters » de brins routiers sont définis afin d’identifier des parties du réseau ayant des caractéristiques similaires ; les routes d’un même cluster étant régulées par la même limitation de vitesse afin de simplifier la résolution du problème d’optimisation.
Le scénario simulé correspond à une heure de pointe, l’objectif étant d’induire une situation de congestion dans le réseau et d’analyser le comportement du régulateur. 
Son effet est comparé à celui de deux autres scénarios :
•    un scénario de référence : situation avec des zones de limitations de vitesse constantes ;
•    et un scénario dit « contrôle d’accès » : situation avec des durées au vert des feux qui sont régulées.

La Figure 4 illustre les résultats obtenus.

Consommation de carburant, émissions de NOx et fluidité du trafic pour chacune des trois stratégies de contrôle.
Figure 4: Consommation de carburant, émissions de NOx et fluidité du trafic pour chacune des trois stratégies de contrôle

Des bénéfices multiples

L‘étude met en évidence que la régulation des limitations de vitesse permet de :
•    fluidifier le trafic,
•    diminuer la consommation de carburant,
•    réduire les émissions polluantes.
En pratique, le régulateur abaisse légèrement les limitations de vitesse des brins routiers menant à des zones sur le point de se congestionner. Cette anticipation permet de limiter la congestion ainsi que la surconsommation et la surémission qui s’ensuivent. Cela permet par ailleurs de fluidifier le trafic puisque, pour un temps de simulation donné, la distance totale parcourue par l’ensemble des véhicules augmente.
Grâce au régulateur développé, ce travail de thèse a pu démontrer l’efficacité énergétique et le bénéfice environnemental de la régulation des limitations de vitesse en milieu urbain, opérée selon un mode préventif, en anticipation des phénomènes de congestion. 
Par ailleurs, cette méthode se révèle plus avantageuse que le contrôle des feux de signalisation, notamment en raison d’accélérations moins fortes et d’arrêts moins fréquents, qui résultent en une meilleure efficacité énergétique et une circulation plus fluide [3].
Pour aller plus loin, cet outil d’éco-gestion des limitations de vitesse pourrait être implémenté dans des réseaux routiers plus complexes et donner la pleine mesure de son potentiel dans nos villes. Il pourrait par ailleurs être couplé à d’autres méthodes d’optimisation de l’efficacité énergétique des véhicules telles que l’eco-driving, l’eco-routing, ou encore la coopération entre véhicules [4].

Références

[1] B. Othman, G. De Nunzio, D. Di Domenico, C. Canudas-de-Wit, “Analysis of the impact of variable speed limits on environmental sustainability and traffic performance in urban networks”, IEEE Transactions on Intelligent Transportation Systems, 2022. (DOI : 10.1109/TITS.2022.3192129).
[2] B. Othman, “Limitations de vitesse variables et contrôle d'accès dans un réseau routier urbain pour une meilleure durabilité environnementale”, thèse de doctorat, 2021.
[3] B. Othman, G. De Nunzio, D. Di Domenico, C. Canudas-de-Wit, “Urban road traffic fuel consumption optimization via variable speed limits or signalized access control: A comparative study”, IEEE Conference on Decision and Control (CDC), 2021. (DOI : 10.1109/CDC45484.2021.9683194).
[4] B. Othman, G. De Nunzio, A. Sciarretta, D. Di Domenico, C. Canudas-de-Wit, “Connectivity and automation as enablers for energy-efficient driving and road traffic management”, Handbook of Climate Change Mitigation and Adaptation, 2021. (DOI : 10.1007/978-1-4614-6431-0_128-1).

Contacts scientifiques : Bassel Othman, Giovanni De Nunzio