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La production de biocarburants, biogazole ou biokérosène, peut s’effectuer à partir de charges lipidiques telles que les huiles végétales, les huiles de cuisson usagées ou les graisses animales. Par une étape d’hydrotraitement, on obtient des normales-paraffines longuesa qui doivent ensuite être isomérisées ou craquées afin d’ajuster les propriétés de l’effluent résultant aux spécifications requises selon le type de carburant visé (notamment les propriétés à froid et/ou la température de distillation finale).

Ces deux réactions sont effectuées sur des catalyseurs hétérogènes, qui sont dits « bifonctionnels » car ils comprennent une fonction hydro/déshydrogénante (de type métal noble ou sulfure de métal de transition) et une fonction acide de Brönstedb (de type zéolithique et/ou silice-alumine). Le contrôle de leur sélectivité s’avère alors crucial pour orienter la réaction vers l’hydro-isomérisation ou l’hydrocraquage.

En catalyse bifonctionnelle, la sélectivité dépend fortement des propriétés intrinsèques de la phase acide, c’est-à-dire sa porosité et son acidité de Brönsted, mais la fonction hydro/déshydrogénante est également un facteur important. De plus, le catalyseur ne peut atteindre sa sélectivité maximale (pour des conditions opératoires données) que si la fonction hydro/déshydrogénante est très forte, donc de type métal noble. On parle dans ce cas d’un catalyseur bifonctionnel bien « équilibré ». Or les catalyseurs industriels sont souvent à base de sulfures de métaux de transition, plus résistants aux impuretés présentes dans les charges, mais moins sélectifs. Il est par conséquent très important de pouvoir contrebalancer l’impact de cette faible fonction hydrogénante sur l’activité et la sélectivité d’un catalyseur bifonctionnel, en optimisant sa formulation ou les conditions opératoires (pression et température).

Dans le cadre d’une collaboration avec l’IST de Lisbonnec complétée par des travaux internes, une étude combinant expérimental et modélisation a porté sur l’interdépendance entre la fonction hydrogénante et la fonction acide de la zéolithe, dans le cas de l’hydroconversion du n-hexadécane [1]. Pour cela, des catalyseurs avaient été préparés par imprégnation de zéolithes avec un élément à fonction hydrogénante puissante, le platine (Pt). Ces catalyseurs ont été comparés à leurs homologues dotés d’une fonction hydrogénante faible, à base de sulfure de molybdène (MoS2).

Il a résulté de ce travail un modèle cinétique capable de prédire l’activité et la sélectivité du catalyseur bifonctionnel en fonction de la teneur en Pt et du nombre de sites acides du support (figure 1). Ce modèle est également en mesure de prédire le comportement d’un catalyseur bifonctionnel mettant en jeu deux phases acides différentes, point très intéressant car il offre le moyen d’ajuster finement la sélectivité [2] et de déterminer les effets de conditions opératoires.

Figure 1
Figure 1 : Evolution du rendement maximal en isomérisation (descripteur de la sélectivité en isomérisation, lors de l’hydroconversion du n-hexadécane, en fonction du rapport entre sites métalliques (Pt) et sites de Bronsted (Al) pour deux zéolithes (HBEA et HUSY) [1].

   
La comparaison des catalyseurs au Pt avec des catalyseurs MoS2 promus par Ni [3,4], très mal équilibrés et donc très peu sélectifs envers l’isomérisation, a conduit à caractériser l’écart de rendement vis-à-vis de cette réaction et d’étudier la manière d’y remédier. Deux actions combinées peuvent permettre d’atteindre un meilleur équilibre au niveau du procédé : ajouter de l’ammoniaque comme inhibiteur des sites acides dans la charge et diminuer la proportion de zéolithe dans le support du catalyseur (figure 2). Pour atteindre un rendement identique à celui obtenu grâce au catalyseur au Pt, l’ajout d’ammoniac dans la charge a réduit la concentration en sites acides d’environ trois ordres de grandeur : dans cet exemple, c’est donc le niveau à atteindre pour pouvoir équilibrer un catalyseur MoS2.

Figure 2
Figure 2 : Comparaison des catalyseurs bifonctionnels au Pt (noir) ou Ni/MoS2 (rouge). La concentration des sites acides a été modifiée en faisant varier la teneur en zéolithe USY dans l’extrudé. La figure montre le rendement maximal en iC16, en présence (symboles pleins) ou absence (symboles vides) d’ammoniaque comme inhibiteur.

   
Ce travail a permis de quantifier l’impact de l’équilibre entre la fonction hydrogénante et la fonction acide d’un catalyseur bifonctionnel pour la production de biocarburants, en fonction de la composition du catalyseur et des conditions opératoires. Certains points non totalement élucidés font encore l’objet de travaux, notamment concernant l’impact des inhibiteurs, et la relation entre la sélectivité intrinsèque de la zéolithe et la nature de ses sites acides.


a- Paraffines linéaires à chaîne longue (typiquement plus de 10 atomes de carbone)
b- Acide de type « donneur de proton »
c- Thèse de Pedro Mendes, « Hydroconversion catalysts based on zeolite mixtures, from ideality to reality », 2017.
     


Références :

  1. Mendes. P. S. F., Silva. J. M., Filipa Ribeiro. M., Duchêne P., Daudin. A., Bouchy. C.,  Quantification of metal-acid balance in hydroisomerization catalysts: A step further toward catalyst design. AIChE J. 2017. 63 (7). 2864–2875.
    >> DOI: 10.1002/aic.15613
        
  2. Mendes. P. S. F., Silva. J. M., Filipa Ribeiro. M., Daudin. A., Bouchy. C., Investigation of cooperative effects between Pt/zeolite hydroisomerization catalysts through kinetic simulations. Catal. Today 2018. 312. 66–72.
    >> DOI: 10.1016/j.cattod.2018.02.011
       
  3. Mendes. P. S. F., Silva. J. M., Ribeiro. F. H., Daudin. A., Bouchy. C., Bridging the gap between laboratory and industrial hydrocracking: on catalyst and operating conditions effects. Catal. Sci. Technol. 2020. 10. 5136–5148
           
  4. Pirngruber. G. D., Maury. S., Daudin. A., Alspektor. P. Y., Bouchy. C., Guillon. E., Balance between (De)hydrogenation and Acid Sites: Comparison between Sulfide-Based and Pt-Based Bifunctional Hydroc
    >> DOI: 10.1021/acs.iecr.0c01680
       

Contacts scientifiques : Christophe BouchyGerhard PirngruberAntoine Daudin

>> NUMÉRO 47 DE SCIENCE@IFPEN