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Alors que l’Union Européenne vise la neutralité climatique d’ici 2050 (c’est-à-dire zéro émission nette de gaz à effet de serre), les émissions mondiales de CO2 liées aux transports, qui représentent un quart du total, continuent à augmenter. Pour remédier à cela et faire face à l’urgence climatique, les améliorations technologiques ou la taxe carbone ne semblent pas suffisantes, et un changement est également nécessaire en matière de comportement.
 
Le projet FRAME1 porte sur la prise en compte des considérations environnementales dans les décisions de voyage des particuliers et s’intéresse pour cela aux nouvelles approches, moins interventionnistes (prix, taxes, réglementation), préconisées dans la littérature telles que les politiques d’information et de communication. L’introduction de ces « coups de pouce » (nudge, en anglais), dont l’effet direct reste marginal, peut avoir un effet significatif pour augmenter les sensibilités environnementales et compléter les politiques plus interventionnistes. Parmi les types de nudge les plus connus figure l'effet de cadrage qui cherche à améliorer l'efficacité d’une campagne de communication en lui associant une suggestion pour modifier la perception de certains aspects du problème considéré et orienter ainsi la décision. Par exemple, les conséquences d’un comportement peuvent être présentées soit en termes de gains attendus, grâce à l’adoption du changement, soit en termes de pertes subies du fait de sa non-adoption.

Dans le cadre du projet FRAME, l'effet du cadrage de la valence des attributs - i.e. la description d’une même information (mais de manière soit positive soit négative) sur les préférences des individus en termes de conditions de voyage - a été testé via une Expérience de Choix Discret2 [1], spécialement conçue à cet effet. Différents traitements ont permis de déterminer si ce type de cadrage pouvait ou non avoir un impact pour réduire les émissions de CO2 liées aux transports. Plus facile à mettre en œuvre que des leviers traditionnels, tels que les taxes, un tel nudge ne repose pas sur l'hypothèse forte selon laquelle les individus seraient entièrement rationnels.

L’expérience (DCE) a été menée sur un échantillon représentatif de la population française (âge, genre, activité professionnelle : au total, 1 032 personnes âgées de 18 à 75 ans résidant en France métropolitaine). Un scénario hypothétique était présenté pour un voyage à des fins privées utilisant les transports en commun, avec une origine et une destination fixes, et avec deux alternatives en termes de modes de déplacement via plusieurs « carte de choix » (cf. Tableau 1).

Tableau 1
Tableau 1 : Exemple de carte de choix.

En tout ce sont dix cartes de choix qui ont été présentées à chaque répondant, avec diverses combinaisons de temps de trajet, de coût, de distanciation sanitaire et d'émissions de CO2 (cf. Tableau 2).

Tableau 2
Tableau 2 : Niveaux des attributs proposés dans les cartes de choix.

Les principaux effets de cadrage étudiés étaient le gain et la perte sur deux attributs différents : le temps de trajet et la quantité de CO2 émise.

Les répondants ont dû réaliser des choix successifs à partir des cartes de choix proposées dans le but de leur faire révéler leurs préférences pour les différents attributs. Les résultats ont été obtenus à l’aide de méthodes économétriques et statistiques dédiées appartenant au corpus des modèles de choix discrets (cf. [2] pour plus de détails). La cohérence des coefficients des attributs a été vérifiée en analysant leurs signes  et leurs valeurs relatives.

Il ressort tout d’abord de l’analyse que les personnes interrogées tentent avant tout de minimiser le prix et la durée de leur voyage, le prix ayant une influence deux fois plus forte que la durée, puis de maximiser les mesures sanitaires dont elles peuvent bénéficier. Le critère CO2 se classe en dernier mais est malgré tout pris en compte par les intéressés. 

Toutefois, les résultats indiquent que si l’information sur les émissions de CO2 est présentée de manière négative (cadrage en perte), cela augmente de manière significative les comportements pro-environnementaux des répondants dans leurs choix de déplacement. A l’inverse, un cadrage en gain de ces mêmes émissions n’a pas d'effet statistiquement significatif sur ces comportements.

En termes de politiques publiques, l’enseignement de ce travail est double. Premièrement, si les cadrages en perte exercent bien une influence sur les décisions des individus, cela ne semble pas être le cas des cadrages en gains. Ce résultat demandera à être confirmé mais, en permettant de mieux comprendre les priorités de choix des voyageurs, il pourrait servir à concevoir des politiques pro-environnementales plus appropriées. Deuxièmement, un bénéfice du cadrage en perte plus important pour le CO2 que pour la durée du trajet a été observé. Cet effet pourrait s’expliquer par le caractère plus complexe et moins concret de cet attribut (par exemple le kg d’émissions de CO2) par rapport à un attribut déjà bien connu et identifié comme la durée du temps de trajet. S’il se confirmait que cette différence résulte du caractère abstrait de l’indicateur relatif aux émissions de CO2, il serait intéressant de trouver une unité de mesure plus compréhensible pour communiquer à leur propos.

 

1- Projet financé par l’ADEME (2021 - 2024) : cadrage de l’inFoRmAtion pour la promotion d’une Mobilité durablE. En partenariat avec l’Université Gustave Eiffel, l’Université de Nantes et l’Université de Rennes.
2- Ou DCE, pour Discrete Choice Experiment.
3- Pertinence et significativité statistique.
     


Références :

  1. Collet C., Gastineau P., Chèze B., Mahieu P-A., Martinez F. (2023), Combining economics and psychology: Does CO2 framing strengthen pro-environmental behaviors ?, Ecological Economics, Volume 214.
    >> https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2023.107984
       

  2. Chèze, B., Collet, C., Paris, A. (2021), Estimating discrete choice experiments: theoretical Fundamentals,
    >> Les Cahiers de l’économie n° 142, Séries Working Paper IFPEN.
          

Contact scientifique : Benoît Chèze

>> NUMÉRO 54 DE SCIENCE@IFPEN