15.02.2021
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Des équipes IFPEN ont étudié le phénomène de l’autoxydation des carburants, la séparation de phases et la formation de dépôts causant des dysfonctionnements divers. Après avoir proposé un nouveau processus de formation des dépôts, les chercheurs l’ont validé pour les carburants diesel, biodiesel, et kérosène aéronautique au moyen d’une nouvelle méthodologie qui a montré le rôle des porteurs de charge et de la polarité à l’interface produits oxydés/non-oxydés.
L’autoxydation, à l’origine de dépôts et de dysfonctionnements
L'autoxydation est le phénomène par lequel un carburant a tendance à se dégrader à partir de l'oxydation de ses composés à basse température (généralement T < 300°C). Ce mode de dégradation du carburant peut entraîner la formation de produits insolubles et de dépôts d’origines et de compositions diverses dans les réservoirs, les systèmes de combustion et les circuits d’injection.
Ces dépôts peuvent ensuite entraîner des dysfonctionnements mécaniques au niveau des pompes ou des injecteurs, de colmatages de filtre ou des dysfonctionnement liés à un accroissement des pertes de charges au travers de ces derniers.
Par conséquent, la stabilité du carburant face à l’autoxydation est un enjeu important. Elle concerne toute la chaîne logistique dès le stockage, durant son acheminement et jusqu’à son utilisation dans les différents moyens de transport terrestre, aéronautique et naval.
Comment se forment ces dépôts ?
IFPEN a construit une solide expertise sur la stabilité des carburants en étudiant les mécanismes de formation de dépôts. Son objectif : mieux comprendre le processus d’autoxydation en phase liquide et développer des modèles cinétiques détaillés, semi-détaillés et globaux destinés à la prédiction aussi bien de la dégradation des carburants en fonction de leur composition chimique et des conditions opératoires que de la formation de dépôts.
Les travaux menés depuis plusieurs années à IFPEN ont années ont mobilisé des compétences diverses1 au sein d’IFPEN et permis de démontrer que les dépôts sont formés principalement lors des phases d’arrêt des moteurs et turbines [2].
Des méthodes d’oxydation accélérée en laboratoire2 des carburants réels et modèles (surrogates) ont permis d’observer une séparation de phase liquide-liquide en fonction des conditions d'oxydation des carburants (figure 1). Les analyses détaillées, à la fois des fractions surnageantes et des phases sédimentées, notamment par GC-MS3, ont débouché sur l’identification des grandes familles chimiques de produits stables formés lors des processus d'autoxydation : cétones, époxydes, aldéhydes, alcools et acides carboxyliques [3–5]. Ces produits semblent jouer un rôle important dans la formation de composés précurseurs de dépôts.
Les caractéristiques des agrégats n’expliquent pas à elles seules la séparation des phases
Les équipes de recherche ont mis à profit la complémentarité entre les techniques de caractérisation moléculaire, comme la GC-MS et la FTIR4 et d’autres approches comme la RMN bas champ et la diffusion des rayons X pour progresser dans la compréhension de tels mécanismes [6].
A titre d’exemple, les techniques de diffusion à petits angles, SAXS5 et SANS6, ont permis de caractériser les mécanismes d'agrégation mis en évidence - agrégation limitée par diffusion (DLA) et agrégation limitée par réaction (RLA) [5] - ainsi que le suivi de la taille des agrégats qui augmente linéairement avec le nombre de particules dans les conditions de tests. Néanmoins, les caractéristiques physiques seules (taille et nombre de particules) n’expliqueraient pas la séparation de phases et les dépôts observés.
Des différences de polarité entre les produits d’oxydation et le fluide non-oxydé
Afin d'identifier les principaux leviers menant à la démixtion des phases, les équipes IFPEN ont utilisé la microscopie optique ainsi que les méthodes Turbiscan et FTIR [1]. La figure 2 montre l’évolution par démixtion d’échantillons oxydés d’une émulsion complexe. Les résultats du Turbiscan ont révélé que le taux de démixtion ne présentait pas de lien direct avec la densité ou la viscosité des agrégats. Au contraire, le phénomène est apparu principalement lié aux différences de polarité (dues par exemple aux composés oxygénés) de la teneur des phases sédimentaires et surnageantes, ce qui a été confirmé par les résultats FTIR.
Tout semble donc indiquer que les précurseurs des dépôts sont formés en phase liquide, et donc, que le dépôt n'est pas induit directement par la surface en contact avec le combustible. Ces observations ont amené à la proposition d’un nouveau mécanisme de formation de dépôts [1] selon lequel la différence de polarité entre les produits d’oxydation et le fluide non-oxydé constitue un levier non-négligeable de séparation des phases (figure 3).
IFPEN valide un nouveau mécanisme de formation de dépôts
Pour valider cette proposition de mécanisme, des travaux expérimentaux ont été réalisés par spectroscopie d’impédance électrochimique, couplée à une microbalance à quartz (EIS/EQCM). Ce couplage permet l’analyse du comportement dynamique d’un système, qui consiste à lui appliquer une perturbation électrique en fonction du temps, et à suivre sa réponse, en même que la masse de dépôt formé. Cette méthodologie a mis en évidence le rôle des porteurs de charge et de la polarité à l’interface produits oxydés/non-oxydés sur le processus de formation des dépôts pour les carburants diesel, biodiesel, et kérosène aéronautique. Du fait de son efficacité, cette application méthodologique a en outre donné lieu au dépôt d’un brevet [7].
Dans une partie de l’étude dédiée aux carburants aéronautiques, le couplage EIS/EQCM a mis en évidence des voies différentes menant à la formation de dépôts sur la microbalance à partir des composés soufrés et aromatiques présents dans le Jet A1. La capacitance (i.e. la polarité à l’interface entre les produits oxydés/non-oxydés) semble être le principal paramètre déterminant la formation de dépôts.
Ces travaux ont contribué à positionner IFPEN comme l’un des principaux acteurs dans le domaine de la stabilité des carburants aussi bien en France qu’à l’international.
1 Analyse chimique, analyse structurale et imagerie, fluides complexes, colloïdes et matière condensée, science des surfaces, des interfaces et des matériaux
2 PetroOxy ou RSSOT, Rancimat, et Autoclave Parr
3 Couplage chromatographie en phase gazeuse (GC)-Spectromètre de masse (MS)
4 Fourier-Transform Infrared Spectroscopy (ou Spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier)
5 Small-Angle X-Ray Scattering (ou Diffusion de rayons X aux petits angles)
6 Small Angle Neutron Scattering (ou Diffusion de neutrons aux petits angles)
Références :
[1] Alves-Fortunato M., Ayoub E., Bacha K., Mouret A., Dalmazzone C. Fatty Acids Methyl Esters (FAME) autoxidation : New insights on insoluble deposit formation process in biofuels, Fuel, 2020, 268, 117074. DOI: https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0016236120300697.
[2] Alves Fortunato M., Lenglet F., Ben Amara A., Starck L. Are Internal Diesel Injector Deposits (IDID) Mainly Linked to Biofuel Chemical Composition or/and Engine Operation Condition? International Powertrains, Fuels & Lubricants Meeting, JAN. 22, 2019. SAE International400 Commonwealth Drive, Warrendale, PA, United States, 2019.
[3] Karl CHATELAIN. Etude de la stabilité à l’oxydation des carburants en phase liquide. Paris: ENSTA ParisTech, 15/12/2016, 134 p.
[4] Kenza Bacha. Etude de l’Interaction entre le Carburant Diesel et les Composants du Système d’Injection Diesel. Université de Haute Alsace, 2016, 191 p.
[5] Alves-Fortunato M., Labaume J., Cologon P., Barré L. Biofuel Surrogate Oxidation : Insoluble Deposits Formation Studied by Small-Angle X-ray Scattering and Small Angle Neutron Scattering, Energy & Fuels, 2018. DOI: https://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/acs.energyfuels.5b02470.
[6] C. POURTIER, P. COLOGON, T. CHEVALIER, M. MATRAT, L. BARRE, Gaining a Detailed Understanding of Fuel Deposit Formation Mechanisms Through Advanced Molecular and Supramolecular Characterizations, 16th International Conference on Stability, Handling and use of Liquid Fuels (IASH), Long Beach, CA, 2019
[7] Alves Fortunato M., Ben Amara A., Mingant R., Sauvant-Moynot V., Starck L., Belaid S. PROCEDE ET SYSTEME POUR LA MESURE DE LA STABILITE A L'OXYDATION ET/OU DE LA STABILITE THERMIQUE D'UN CARBURANT. France, Brevet WO 2020/207813 A1, 15 octobre 2020.
Contact scientifique : Maira Alves Fortunato